Culture
«La culture ne coûte pas cher»
Nul n’ignore le rôle de la culture dans l’apaisement social…

On l’a vu courir dans tous les sens, installer un conteneur au centre-ville de Rabat, préparer les comédiens, présenter des pièces et accueillir le public. Latefa Ahrrare réalise avec Cont’N’art un vieux rêve de comédienne. Elle y met les moyens et beaucoup d’espoir.
Pourquoi descendre dans la rue, loin du confort d’une salle de théâtre?
À quoi bon sert le confort sans vrai public ? La rue c’est le public à l’état brut, un magma d’identités et de cultures qui se côtoient chaque jour, qui échangent à leur insu. La rue est un espace culturel et artistique par excellence, et ce, depuis toujours. Ce n’est pas dans des lieux fermés que la «halqa» est née. La rue, c’est surtout un lieu de rencontres où la jeunesse se retrouve et évolue, s’imbibe de son environnement direct. Rien de plus naturel pour l’artiste que de prendre d’assaut l’espace public.
Personnellement, j’ai toujours aimé jouer dans l’inconventionnel, briser la forme du jeu et impliquer le public. En 2004, j’ai joué du théâtre dans les cafés. En 2008, j’ai lancé le concept «théâtre à domicile». Descendre dans la rue était pour moi un rêve et je le réalise en ce moment grâce à Cont’N’Art.
Mais d’où vous vient cette idée pour le moins originale de transformer un vulgaire conteneur en salle de spectacle ?
L’idée est originale en effet, mais elle ne vient pas de moi. J’ai adapté un concept international déjà réalisé en Europe et en Amérique, en collaboration avec la troupe française K’tha qui joue dans des conteneurs, des toits d’immeubles ou des parkings. Il m’a fallu plus de quatre années de travail et de préparation pour réaliser le projet Cont’N’Art. Je dois beaucoup à la CDG et à l’Institut français de Rabat qui m’ont facilité l’acquisition d’un conteneur. La K’tha compagnie m’a ensuite aidée à aménager l’espace. Tout en veillant à respecter les normes de sécurité et d’aération du conteneur, j’ai réussi à aménager 40 places pour le théâtre et 70 places pour les projections, sur un espace de 5 m x 2,5 m.
Nous avons vu des personnalités politiques se serrer au fond du conteneur…
Oui, je tenais absolument à impliquer les officiels dans ce projet. D’abord pour leur dire que la culture est un droit citoyen. Ensuite, pour les convaincre qu’il n’est pas nécessaire d’investir de gros moyens pour démocratiser l’accès à l’art et à la culture. Une structure pareille peut permettre la formation, la sensibilisation, la création et l’accueil des représentations, à très peu de frais. De plus, la scène, étant ouverte à tous les habitants au Maroc, peut permettre un brassage culturel essentiel au développement du pays. Il y avait d’ailleurs, dans la salle, un sans-papiers camerounais qui a joué de la musique. Et nul n’ignore le rôle de la culture dans l’apaisement des tensions sociales.
Est-ce que l’activité du Cont’N’Art sera continue ?
Bien sûr. Nous travaillons comme toutes les structures artistiques, avec un programme annuel, en optant pour des idées novatrices. Évidemment, un sponsoring par des entreprises citoyennes permettra la pérennité des activités du Con’N’Art. Il nous faudra des moyens pour réaliser les ateliers participatifs, pour nous impliquer de façon professionnelle et nous produire de façon rapprochée.
Le ministre Mohamed Ouzzine a parlé de déplacer le Cont’N’Art dans des régions moins chanceuses pour toucher la jeunesse du Maroc profond.
Mon rêve est justement de voir l’idée se propager et des conteneurs remplir les villes et les villages du Royaume. Que chaque région s’approprie son propre espace et cette forme nouvelle d’expression. Pour ma part, je suis prête à participer à la formation et au conseil des compagnies intéressées, de façon à les rendre tout à fait indépendantes et créatives. L’art, c’est d’abord l’amour du partage, n’est-ce pas ?
