Culture
«Il y a un va-et-vient perpétuel entre l’image et le verbe dans mon travail»
à€ 26 ans, Rim Battal entame sa carrière artistique sur les chapeaux de roues. Exposées au Musée Mohammed VI de Rabat, sa série de photographies «Mariage(s)» questionne le rituel, son déroulement, sa symbolique, ses répercussions, sur la femme, surtout. à€ Marrakech, elle expose aussi dans le cadre du projet Féminin Pluriel. Touche à tout, l’artiste écrit également des scénarios de courts-métrages et prépare la sortie d’un recueil de nouvelles en 2015.
Ça démarre sur les chapeaux de roues, pour vous, dites donc ! Qu’est-ce que ça fait d’être – déjà – exposée au Musée Mohammed VI ?
Faire partie de l’exposition inaugurale du premier musée d’art contemporain au Maroc est un honneur pour moi. Je suis très heureuse de faire partie de cette exposition que j’estime historique, aux côtés d’artistes que j’admire depuis longtemps comme Fouad Bellamine, Mounir Fatmi et d’autres de ma génération comme Zaineb Andalib, Said Afifi ou encore Mohamed Arejdal.
Pour ma série Mariage(s) (photographies et installations), je ne pouvais rêver mieux. Je voulais qu’elle soit exposée dans un lieu grand public, au Maroc. C’est ainsi que je l’ai pensée : c’est une série explicite, destinée en premier lieu aux Marocains. Je voulais qu’elle suscite des réactions, qu’elle fasse réfléchir. Et dès que le musée a été accessible au public, j’ai été interpellée par plusieurs personnes qui ont vu mon travail et qui m’ont dit avoir été touchées, voire bouleversées. J’en suis ravie.
Parlez-nous en. Décrivez votre démarche artistique, vos sources d’inspiration, les thèmes qui vous sont chers…
Il y a une histoire derrière chaque photographie. A travers la série Mariage(s), mon but était de décortiquer les enjeux, les paradoxes d’un tel rituel. C’est l’aboutissement d’une longue réflexion et d’observations. Pendant la prise de vues, il y a eu des moments très intenses, un véritable échange avec mon modèle. J’ai complété cette série d’une nouvelle qui sera d’ailleurs lue au MMVI en 2015 (date à définir).
Pour réaliser ma série No man’s land, présentée en ce moment dans le cadre de l’exposition Féminin Pluriel à Marrakech, j’ai souhaité poursuivre l’expérience en concevant chaque photographie à partir de l’histoire de mes modèles. De manière générale, il y a un va-et-vient perpétuel entre l’image et le verbe dans mon travail.
Je m’inspire des choses que je vis, des gens qui m’entourent, de l’actualité, de mes lectures. Parfois, une phrase entendue dans un café ou une conférence peut provoquer un flot d’images dans ma tête qui débouche plus tard sur une série de photographies. Ou l’inverse: une photographie ou une scène de film, une publicité va déchaîner les mots et aboutira à un poème ou une nouvelle. Pour moi le verbe est essentiel. D’ailleurs, je viens d’achever un recueil de poésie qui sortira en mars 2015 chez LansKine (France).
L’art doit-il, pour vous, être engagé ? Vous définissez-vous comme une artiste engagée ? Une artiste féministe, en l’occurrence ?
Je ne sais pas si l’art doit être engagé ou non. Le mien l’est parfois. Une amie m’avait dit : “Don’t be political”. D’autres me disent qu’il le faut parce que la situation de la femme, parce que la société marocaine, parce que les libertés individuelles, parce que… Je pense que chaque artiste devrait faire comme il le sent et qu’il n’y a pas de règle. Il ne faut pas s’enfermer dans des “causes”. Cependant, je pense que l’art doit faire passer un message, qu’il soit conceptuel, philosophique, politique, ou purement esthétique ou sensible.
Je ne définis pas mon travail comme féministe bien que je le sois dans la manière dont j’appréhende la vie. Ce que je suis transparaît sans doute dans mon travail. Il paraît que près de 80% des premiers romans sont autobiographiques. Je pense qu’au début, il est difficile de se détacher de sa propre histoire. Mais il est essentiel de se “débarrasser” de soi de cette manière afin d’aller de l’avant, vers un art plus pur, universel.
Parlez-nous de vos difficultés en tant qu’artiste en début de carrière.
Au début, on est un peu seul quand on est artiste. Je pense qu’on le reste, qu’on l’est toujours, mais en début de carrière c’est très pesant. Pour ma part, j’ai eu la chance de bénéficier d’une résidence à la Cité internationale des arts de Paris, où j’ai rencontré d’autres artistes avec qui j’ai pu échanger. Ça m’a fourni un cadre qui m’a permis d’avancer, de progresser dans ma réflexion.
Et puis, il faut être sur tous les fronts ; à la fois produire, faire sa promotion, démarcher auprès des galeristes, des institutions, à la recherche de son public. Le pire pour moi, c’est le côté administratif : lire ses contrats ou en rédiger, les factures, l’envoi des œuvres… c’est ma bête noire. Idéalement, je m’enfermerais dans un atelier et me contenterais de penser, de créer, d’écrire, de monter des projets, des collaborations avec d’autres artistes… j’attends avec impatience que le clonage soit possible et à la portée de tout le monde. Comme ça j’aurais une Rim1 assistante et administratrice, j’enverrais une Rim2 faire les courses et une Rim3 irait représenter les autres ! J’aurais alors toute ma tête pour me concentrer sur l’essentiel : la création.