Culture
Adios Goytisolo, l’homme que Marrakech a perdu
L’écrivain espagnol Juan Goytisolo est décédé le 4 juin à Marrakech, à l’âge de 86 ans. Etabli dans la médina de Marrakech depuis 1997, Juan Goytisolo a aimé le Maroc passionnément…

Lundi 5 juin, 17h. Un cercueil porté par quelques hommes en costume creuse son passage parmi les tombes du cimetière espagnol à Larache. On s’arrête devant la fosse qui va accueillir le corps, non loin de la tombe d’un certain Jean Genet. C’est que le défunt vouait à ce dernier une amitié et une admiration sans fin. C’est aussi une manière de contenter Juan Goytisolo qui, lui, aurait demandé à être enterré à Marrakech, dans le cimetière des musulmans ! Ses dernières volontés écrites étant perdues par un ami négligent et n’étant pas reconnu musulman, il se voit refuser les portes du champ du repos espéré…
«Juan Goytisolo a passé toute sa vie à défendre les musulmans. A commencer par la cause palestinienne, puis la guerre d’Algérie. Sans parler de son travail sur la réhabilitation de l’apport de la culture musulmane dans l’histoire espagnole», affirme l’écrivain et poète Yassin Adnan qui l’a fréquenté dès son arrivée à Marrakech. «C’est ainsi qu’il aurait demandé, avant son départ, pour soutenir les musulmans de Tchétchénie, d’être inhumé dans le cimetière musulman en cas de décès. Pour lui, ça allait de soi».
L’écrit comme arme
Vous lirez certainement que Juan Goytisolo fut l’un des écrivains les plus importants de la seconde moitié du vingtième siècle. Qu’il a remporté des prix aussi prestigieux que le Prix national des lettres espagnoles en 2008 et le Prix Cervantès en 2014. Cela suffira certainement pour vous intéresser à son œuvre. Et c’est tant mieux. Ceci étant dit, Juan Goytisolo fut lui-même le personnage d’une vie romanesque bien remplie. Depuis ce terrible bombardement, sous Franco, qui a pris la vie de sa mère, Juan Goytisolo a entamé une histoire au goût de l’exil. Malgré son attachement à l’Espagne et à Barcelone, sa ville natale, il n’a cessé de fuir le pays de ses blessures, tout en écrivant, sur lui et pour lui, des textes d’une grande qualité.
Cet exil lui permit de côtoyer l’intelligentsia parisienne et de façonner une écriture qui va bouleverser les codes aussi bien stylistiques qu’idéologiques de la littérature espagnole. Fortement engagé dans le parti communiste alors clandestin, il garda cette fibre militante qui marqua son œuvre et ses prises de position politiques. Juan Goytisolo n’était pas un écrivain de salons en recherche de gloire. Son talent servait à décortiquer la société, les guerres, les utopies et les illusions. Il se dédia corps et âme aux causes désespérées : le dernier des Don Quichotte…
«Lorsque avec des auteurs de la ville nous avons écrit un livre collectif sur Marrakech, nous avons demandé à Juan de le présenter. Il nous avait fait tellement d’éloges, comme s’il nous remerciait d’avoir écrit sur Marrakech. Il était devenu plus marrakchi que nous», s’étonne toujours Yassin Adnan.
Marrakech, son amour
La relation de Juan Goytisolo avec la ville de Marrakech et la place de Jamaa El Fna était, aux dires de tous les locaux, du type fusionnel. Maîtrisant la darija, accent marrakchi en prime, il se gargarisait des blagues salaces des quidams de la place. «Une soirée avec Juan Goytisolo pouvait se réduire à cela. Pour nous autres écrivains marocains avides de rencontrer ce maître à penser, cela pouvait être frustrant. Mais nous avons compris par la force des choses qu’il était de ces intellectuels qui réfléchissent seuls», explique Yassin Adnan. Seul, il ne l’était pourtant pas. Entouré de sa «famille marocaine» et cette petite gent qu’il chérissait tant, Juan Goytisolo exécrait les mondanités et leur préférait le contact des gens vrais. Ce qui était sûr c’est qu’il a coulé des jours heureux sur la place de Jamaa El Fna.
Il en parle peut-être dans son dernier manuscrit déposé en mars 2015, avec l’ordre de le publier dix ans après sa mort. Seul commentaire sorti de sa maison d’édition espagnole, c’est qu’il concerne «des affaires sociales et personnelles». Pour peu qu’on connaisse son parcours et sa plume, ce manuscrit est une promesse d’enchantement. En attendant ses dernières révélations, «Adios Goytisolo!» Ou peut-être aurait-il préféré «Beslama»…
