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Culture

Abdellah Ferkous : le portefaix devenu réalisateur de cinéma

A 15 ans, il quitte l’école pour subvenir aux besoins de sa famille. Abdellah Toukouna, alias Ferkous, se fait remarquer à  la maison de jeunesse de son quartier et se voit offrir des rôles au théatre et à  la télé. Il est comédien mais également judoka confirmé et a été champion du Maroc à  26 ans. Après trois courts métrages, il vient de réaliser son premier film «Swingm» (réfléchis) en amazigh.

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FERKOUSS 2011 02 25

Il était à Tanger en ce début d’année au dernier Festival national du film pour présenter et défendre son premier long métrage. Débordant d’humour, enchaînant les gags, imposant pas son gabarit et charmant ses interlocuteurs. Pour un comédien, certes doué, mais autodidacte comme Abdellah Toukouna, connu par le public sous le surnom de Ferkous, l’entreprise est périlleuse. Il le dit tout de go, avec son humour de Marrakchi pur jus devant le public, les journalistes et les critiques de cinéma venus assister au débat le lendemain de la projection du tout premier film de l’acteur : «Soyez indulgents avec moi, tout a un début, c’est mon premier bébé et il peut ne pas vous plaire». Swingm (en amazigh, soit Khammem en arabe, et Réfléchis en français) est le titre de cet opus. Un mélodrame à l’hindou dont on devine sans peine l’épilogue. Mais l’histoire, très touchante, arracherait des larmes au spectateur le plus insensible. Saleh (interprété par Ferkous) est un modeste commerçant de son état. Mais le succès de son affaire lui fait tourner la tête et il se laisse aller à des beuveries à n’en plus finir. Résultat : une famille négligée, une épouse qui rend l’âme en couches, un fils de dix ans expulsé sans ménagement du domicile par le père. Lequel convole en justes noces avec une fille de joie cupide et vorace. Ce n’est pas fini : un jour Saleh découvre sa femme dans les bras de son meilleure ami et l’étrangle jusqu’à ce que mort s’ensuive. Il écope d’une condamnation à perpétuité et passe ses nuits carcérales à s’apitoyer sur son sort. Abdallah Ferkous, le réalisateur, termine son long métrage, qui appartient plus au registre télévisuel qu’à celui du grand écran, par un happy end éculé : toute la famille se retrouve devant la tombe de Rahma, la première épouse et la mère des enfants.
Ce mélodrame ne correspond-il pas quelque part à la vie d’Abdallah Ferkous ? «Un peu, oui, j’ai perdu mon père à l’âge de quinze ans, j’ai quitté l’école pour travailler et pris en charge mes quatre frères et sœurs», relate-t-il, un instant gagné par la tristesse.
C’est au début des années 60 qu’il vit le jour, et c’est à quinze printemps à peine qu’il retrousse ses manches pour nourrir sa famille. Il se réveillait à l’aurore pour aller travailler comme portefaix au marché de la ville. Il portait les caisses de fruits et de légumes à dix centimes l’unité. «Deux cents caisses, jusqu’à 11 heures du matin, cela me permettait de gagner de quoi nourrir plusieurs bouches et d’envoyer mes frères à l’école », raconte-t-il. Une activité manuelle qui lui a également permis de développer ses biceps et son gabarit pour devenir plus tard judoka et même champion du Maroc en 1986 en cette discipline.

Au théâtre, au cinéma, comme à la télé sa maîtrise du jeu est toujours parfaite

Quand il ne travaille pas et qu’il n’est pas à la salle de sport, il passe son temps à la maison de jeunesse du quartier à jouer au ping-pong et à faire du théâtre. Son sens de l’humour est inné, dévastateur, déjà à l’école il faisait rire aux éclats à longueur de journée ses camarades et ses instituteurs. Il ne passera pas inaperçu à la maison des jeunes : Abdallah M’aoui, professeur universitaire et président de l’association Al jil Assaid (la génération montante), le remarque et le prend sous son aile. Il lui confie son premier rôle : gardien de foundouk dans une pièce de théâtre. Il y excella tant et si bien qu’une autre troupe, Al Wafae Al Mourrakochia, la plus célèbre de la ville, l’engagea pour devenir, à 19 ans, acteur professionnel. «Perfectionner mes dons de comédien auprès de deux monstres du théâtre comme Abdeljabbar Louzir et Mohamed Belqas fut la chance de ma vie», lâche avec fierté celui qui deviendra plus tard leur disciple.
Mais c’est dans son rôle de Frikes, aux côtés de son mentor Abdeljabbar Louzir, dans une pièce de théâtre réalisée par Mustapha Fakir et diffusée en 1989 sur le petit écran qu’Abdallah Ferkous connaît la gloire de comédien professionnel.
Les rôles tant au théâtre, à la télévision qu’au cinéma vont pleuvoir. «Dans chacun de ces rôles, c’est comme un gant qu’il enfile, sa maîtrise du jeu est toujours parfaite», souligne un ami à lui, dans le monde du cinéma aussi. Il a joué dans Malhamat nafahat min dakirat mourrakouch, de Mohammed Al Joundi, Al Adan fi Al mizane (Mohamed Atif), Yarit (Hassan Benjelloun), Kayd N’sa (Farida Belyazid), Sarik Chouifa (Mohamed Abderrahman Tazi), Samt layl (Driss Chouika), Bye Bye Souirti (Daoud Oulad Sayed). Ne serait-ce qu’avec ce dernier, il a participé à pas moins de huit téléfilms. C’est là où Ferkous devint le chouchou du public : il a joué tour à tour dans Talaâ habat, Ferkous et Ferkoussa et Moul taxi, entre autres. Jusqu’à Swingm, son premier long métrage, où il enfile le rôle principal. Pourquoi de bout en bout en amazigh et non pas en darija, pour que tous les Marocains comprennent ? Là, Ferkous, toujours avec son humour mordant, tresse une réponse des plus pragmatiques. «Simplement parce que tous ceux qui ont mis la main à la poche pour financer ce film sont amazighs, et ont exigé pour ce faire qu’il soit en cette langue», dit-il. Ce sont eux également qui l’ont encouragé à se lancer dans la réalisation. Saïd Naciri l’a fait. Et ses films, avec Les bandits et son dernier Les clandestins (également en compétition officielle à Tanger) sont devenus des succès. Sanae Akroud et Mohamed Nadif l’ont fait, pourquoi pas, lui, Abdallah Ferkous ? Il a franchi le pas, mais pas avant d’avoir réalisé quelques courts métrages, au moins trois comme l’exige le CCM pour mériter la carte de réalisateur, dont K’sida avec l’humoriste Mohamed Dahra et Mohamed Choubi. Avec le premier, Ferkous a une histoire, qu’il aime tant raconter. Dahra est un unijambiste, humoriste talentueux, qui formait un duo avec son ami Abdelkhalek Fahid. Un jour, Ferkous avait besoin d’un acteur qui tiendrait le rôle d’un handicapé dans l’un de ses courts métrages. Il pense à Dahra. Il part à sa recherche et le trouve chez lui à Mohammédia seul et triste. «J’ai déployé des trésors de patience pour l’en faire sortir, et lui faire oublier son embrouille avec Fahid. C’est un acteur d’une sensibilité extrême. Pourquoi chercher quelqu’un d’autre pour jouer l’handicapé dans un film alors qu’on a Dahra qui sait bien le faire», s’interroge celui qui va sauver cet acteur de l’oubli.
Abdellah Ferkous reste modeste, le succès ne lui a pas tourné la tête comme Saleh, le personnage du film : il reste égal à lui-même. Ses premières amours, Marrakech, il ne les a pas oubliées, ni son commerce bien connu dans le quartier chic Guéliz de Marrakech : «Boucherie Ferkous». A quand le prochain film ?