Culture
«à‰lèves, chômeurs, SDF, sans papiers, professeurs : tout le monde doit philosopher»
Entretien avec Nabil Belkabir, membre de l’Union des étudiants pour le changement du système éducatif, «L’flssafa f’zen9a» (la philosophie dans la rue) est le nouveau rendez-vous des R’batis férus de philosophie. Organisée par l’UECSE, cette rencontre hebdomadaire vise à développer l’esprit critique, la pensée libre, et à éveiller la créativité des Marocains.

Parlez-moi de vos rencontres philosophiques : Quand les organisez-vous ? Où ? À quelle fréquence ? Qui ciblez-vous ?
Depuis le début de Ramadan, nous tenons chaque jeudi notre rendez-vous philosophique au parc Cervantès. À chacune de nos rencontres de «L’flssafa f’zen9a», nous choisissons à la majorité et de manière démocratique le thème du prochain rendez-vous. La première fois, nous avons parlé de la naissance de la philosophie – Que ce soit chez les Grecs, avant eux, ou la naissance et la signification de la philosophie pour chacun de nous : cours de lycée, lecture d’un livre… – Un professeur de philosophie était présent et un participant nous a préparé un résumé du Monde de Sophie, le best-seller philosophique du Norvégien Jostein Gaarder. Puis nous avons discuté de la thématique «L’homme est-il un être moral ?» avec un résumé préparé de Crimes et Châtiments de Dostoïevski. Nous avons également parlé de Nietzsche, en préparant sa biographie et un résumé de ces idées-forces. Enfin, la semaine dernière, nous avons discuté du bonheur en étudiant sa conception chez de nombreux philosophes. Pour notre prochaine rencontre, nous discuterons du choix. A-t-on le choix ? Tout est-il déterminé ?
«L’flssafa f’zen9a» est inspirée d’un concept élaboré par le philosophe français Michel Onfray : l’université populaire de philosophie. La nôtre est un événement organisé par l’Union des étudiants pour le changement du système Educatif et a pour but de discuter de la philosophie du quotidien et au quotidien, de vulgariser les concepts philosophiques et de les débattre ensemble. Elle se veut être un espace de libre expression : La parole est à vous pour partager vos réflexions. L’université populaire de philosophie voudrait faire sortir la philosophie des salles de classes : la philosophie est avant tout faite pour le quotidien, la vie. Elle n’est pas un art accessible seulement à l’élite ou aux initiés. Ce que nous voulons, c’est que tout le monde philosophe : étudiants, élèves, chômeurs, SDF, sans papier, professeur, travailleurs en centre d’appel… Tout le monde est capable de faire de la philosophie.
Pourquoi la philosophie, précisément ? Pourquoi pas l’histoire ou la littérature ? Estimez-vous que le Marocain ne réfléchit pas assez par lui-même ?
Si nous avons choisi la philosophie, c’est parce que nous pensons qu’elle peut réellement être le vecteur d’une prise de conscience généralisée, d’un changement des mentalités. Elle peut modeler de nouveaux rapports sociaux ainsi que de nouveaux rapports à la pensée, plus sains : c’est ce dont notre pays a besoin actuellement. Développer l’esprit critique, banaliser la pensée libre, éveiller la créativité de chacun, voici ce que nous permet la philosophie. Mais l’UECSE ne souhaite pas en rester là, des clubs de lecture sont en projet dans les facultés et lycées à l’échelle nationale, ce n’est donc pas pour nous limiter que nous avons choisi la philosophie mais plutôt pour nous développer ! Nous avons tous tellement à apprendre.
Quelles solutions propose votre mouvement au Conseil supérieur de l’enseignement que le Roi souhaite, d’après son discours, «opérationnaliser» ?
Si l’UECSE souhaite le changement du système éducatif, c’est surtout par des activités en parallèle au système éducatif actuel et qui peuvent réellement contribuer à une prise de conscience des élèves et étudiants. Aujourd’hui, nous ne revendiquons pas officiellement des réformes précises en tant qu’entité, même si je pourrais pointer du doigt personnellement des réformes qui me semblent urgentes : réformer la formation des professeurs, démocratiser les établissements d’enseignement, arrêter la privatisation en cours de notre système éducatif public et le désengagement de l’Etat. De manière plus générale, il faut un réel débat sociétal. Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est qu’on nous dise quelle société et quel citoyen on veut former, ainsi que comment l’on compte y arriver précisément et chiffres à l’appui. Je pense réellement que la solution aux problèmes de notre système éducatif réside en nous-mêmes : l’avis des élèves, étudiants, parents d’élèves et professeurs est à prendre en compte ! Ce sont eux qui vivent le système éducatif directement. Mais en attendant, c’est par des événements comme «L’flssafa f’zen9a» que l’on peut déjà commencer à bouger les choses !
