Culture
20 000 inscrits à l’Université populaire
A la base du projet d’Université populaire, la volonté de démocratiser le savoir. Si l’idée s’inspire des expériences européennes du XIXe siècle, le projet de Mohamed El Gahs se veut plus ambitieux et prévoit de s’étendre à tout le pays. Au vu de l’engouement provoqué, son succès semble acquis.

Dimanche 15 janvier ont démarré, pour la première fois dans l’histoire du Maroc, les universités populaires (UP), des espaces où le savoir et la culture sont mis à la disposition de toutes les couches de la population, sans exclusive. Au 10 janvier, date limite des inscriptions, on dénombrait déjà quelque 20 000 personnes inscrites pour suivre les cours, tous les dimanches après-midi, pendant quatre mois : du 15 janvier au 15 mai, à raison de 16 séances de deux heures pour chaque discipline. Affluence inespérée. Dans plusieurs villes du Royaume, des vagues d’hommes et de femmes, de 18 ans à 80 ans, ont assailli les délégations du secrétariat d’Etat à la Jeunesse, en quête d’un banc. Les concepteurs du projet sont pris de court. Ils n’imaginaient pas que les Marocains manifesteraient un tel appétit de savoir, si bien qu’ils ont été contraints de dresser une liste d’attente pour le cycle de l’année prochaine.
Les premières universités populaires ont vu le jour en 1919 en Allemagne
Des neuf UP prévues dans le programme initial (à Casablanca, Rabat, Marrakech, Agadir, Fès, Laâyoune, Oujda, Tanger, Tétouan), on est passé à 21. Des villes comme Safi, Azilal, El Jadida, Meknès, Mohammédia, Boujdour ou Kalaât Sraghna ont, elles aussi, réclamé les leurs. «Pourquoi les exclure, alors qu’elles disposent de leurs locaux, de leur staff d’enseignants volontaires ?», explique Mohamed El Gahs, secrétaire d’Etat à la Jeunesse.
Mais pourquoi des espaces pour dispenser un savoir que les universités conventionnelles, avec leurs grands moyens et des compétences sûres peuvent tout aussi bien prodiguer ? Qui enseignera et quelles disciplines seront enseignées ? Pour comprendre, il convient de faire un détour par l’histoire.
L’idée d’étendre les connaissances aux couches les plus démunies de la population à travers des UP remonte au XIXe siècle, alors que s’ancrait en Europe l’école obligatoire. Si certaines tentatives ont tourné court, d’autres ont résisté aux avatars de l’histoire d’un XXe siècle tourmenté. Les premières UP à voir le jour en Allemagne datent de 1919. Actuellement, elles accueillent chaque année 6,4 millions d’adultes. En Autriche, plus de 15 % de la population s’initie grâce aux universités populaires. La même proportion est observée en Suisse, aux Pays-Bas, en Italie, en Espagne et en Belgique. En août 2004, ils étaient en France plus de 100 000 inscrits, disséminés à travers les 70 universités populaires de l’Hexagone.
Ancrer l’UP dans la conscience des Marocains
L’idée des UP au Maroc s’inspire, certes, des expériences européennes qui ont démarré à partir du XIXe siècle, mais elle est «unique en son genre, en ce sens qu’elle va être généralisée à toutes les régions du pays. Pourquoi ne pas réussir là où beaucoup ont plus ou moins échoué : ancrer l’UP, l’institutionnaliser, l’intérioriser dans la conscience et les habitudes du peuple marocain ?», précise M. El Gahs.
Trois raisons auraient présidé à la genèse du projet dont l’idée force est de démocratiser le savoir au Maroc. La première, comme nous l’explique le secrétaire d’Etat à la Jeunesse, est de revenir à un savoir qui ne soit pas uniquement un instrument de promotion sociale, d’obtention d’un diplôme ou d’accomplissement d’une carrière. Il y a des filières pour cela, dans les universités classiques. M. El Gahs considère «qu’il y a une sélection injustifiée et injuste, que le savoir doit être en permanence à la disposition du plus grand nombre. Si on a la possibilité d’accéder au savoir pour le savoir, ce sera une révolution dans la société.» Deuxième raison avancée : effacer l’inégalité des chances face au savoir. «C’est la pire inégalité, puisqu’elle est reproductrice de toutes les autres inégalités sociales.»
Troisième raison de ces UP, invoquée par Mohamed El Gahs : la soif réelle de connaissance chez les Marocains. Il y a «une curiosité inextinguible, une soif de comprendre et de participer à la vie publique. Pourquoi ne pas inviter les détenteurs de ce savoir, savants, profs, experts, avocats, artistes, hommes de théâtre à partager leurs connaissances avec le plus grand nombre ? Pourquoi ne pas propulser une solidarité dans la détention du savoir et dans son partage, qui n’est pas moins importante que la solidarité matérielle ?».
Les cours ont lieu dans
les maisons de jeunes pour éviter la solennité des amphithéâtres
Que dire des enseignants de ces UP, de la pédagogie suivie, des matières dispensées, et des lieux de formation? Le lieu d’abord : les initiateurs ont choisi les maisons de jeunes, pour démarquer les UP des institutions classiques. Et cela afin de «leur enlever cet aspect de solennité qui rend la relation entre enseignants et étudiants trop conventionnelle», soutient le secrétaire d’Etat à la Jeunesse.Quant au choix du dimanche après-midi, il est dicté par les disponibilités des maisons de jeunes et des élèves. Mais les délégations peuvent choisir un autre jour de la semaine si elles le jugent utile. Côté contenu, à quelques aménagements près, il sera, selon les cadres du secrétariat à la Jeunesse, rigoureusement géré par des impératifs académiques et scientifiques. Il n’y aura pas d’enseignement au rabais, nous assure-t-on, sachant toutefois que l’enseignement dans les UP sera dispensé à un auditoire disparate tant par l’âge que par le niveau d’instruction. Certes, il ne sera sanctionné par aucun diplôme (une simple attestation sera délivrée à la fin du cycle).
Selon quels principes pédagogiques les UP fonctionneront-elles puisque l’auditoire est hétérogène ? Abdeljalil Amin, qui dispensera des cours en sciences de la communication, à l’UP de Marrakech, aura un auditoire de 552 personnes. Sa méthode est simple: «Nous introduirons la matière par un chapitre préliminaire où nous demanderons à l’auditoire quels aspects de la communication l’intéresseraient le plus. Nous agirons alors en conséquence sur le programme et sur la méthode pédagogique.» Pourquoi autant de candidats à vouloir se ressourcer en sciences de la communication à Marrakech (200 seulement ont opté pour le droit) ? C’est simple, répond notre interlocuteur : «Cette science répond à l’époque moderne. L’internet devient l’outil par excellence de la communication.»
Larbi Belafquih est, lui, professeur à l’UP de Rabat. Son domaine est la psychologie scientifique qu’il enseigne à la Faculté des sciences de l’éducation de la même ville. Pour lui, la conception moderne de l’Université, espace de savoir, de recherche et d’intégration de l’individu dans le tissu social, politique et économique, est celle-là même qui fonde l’UP, sauf que cette dernière est ouverte à tous. L’UP, ajoute-t-il, «nous rappelle cet élan pour l’éducation et le savoir qui avait saisi les Marocains après l’indépendance.» Qu’est- ce qui le motive ? Un désir de partager avec les autres le savoir qu’il détient. Sa méthode ? Celle qu’il a toujours utilisée, en France, au Maroc ou ailleurs : «Partir de ce que connaît la personne, connaître ses attentes et ses motivations et, à partir de cela, construire ensemble un corpus de connaissances. Le pousser plus loin si les pré-requis de l’auditoire sont au même niveau. Le combler le cas échant, s’il y a un décalage.»
Abdellatif Agnouch, professeur de sciences politiques à l’université Hassan II de Casablanca, ne dit pas autre chose. Il aura un auditoire de 245 «étudiants populaires» auxquels il enseignera la sociologie. Comment ? «Avec les rudiments pédagogiques que j’ai et mes 28 ans d’expérience, j’essaierai d’adapter ma démarche après avoir pris connaissance de la structure d’âge et du niveau d’instruction de mes étudiants.» Enseigner la préhistoire de la sociologie (Platon, Aristote…), faire connaître la pensée des fondateurs de l’histoire de la sociologie (Durkheim, Auguste Comte…), la sociologie américaine et la segmentarité au Maroc (thèmes de son intervention) ne sera pas facile.
Le secrétaire d’Etat à la Jeunesse n’éprouve aucune crainte concernant la qualité des professeurs et de leur savoir pédagogique. Mais ces UP ne risquent-elles pas de reproduire le formalisme et l’académisme de l’enseignement classique ? «Il y a une vague de volontaires et de candidatures spontanées qui, en toute sincérité, honorent l’université marocaine et les intellectuels de ce pays. Experts, juges, chefs d’entreprises, fonctionnaires… nous avons été assaillis, dès le début, par les candidatures.» Les médecins sont également désireux de partager leur science. De même pour les professeurs en sciences exactes, qui ont reproché aux initiateurs de privilégier les sciences humaines au détriment des mathématiques, de la physique ou de la chimie ou des nouvelles technologies de l’information. Cette volonté est bien accueillie par le secrétariat d’Etat à la Jeunesse, encore qu’«il faille dispenser ces matières dans le cadre d’unités restreintes et que leur intégration dans le cycle transformera l’idée de départ.»
Les professeurs qui se sont spontanément proposés (plus de 400 à ce jour) sont les meilleurs de ce pays, nous assure M. El Gahs. Leur élan dénote un esprit de partage extraordinaire. Des pointures comme Ismaïl Alaoui, qui a déposé sa candidature pour partager ses connaissances en histoire et en géographie, Saïd Saâdi qui a déjà lancé son cours inaugural vendredi 13 janvier à la maison des jeunes de Sidi Maârouf à Casablanca, sont là pour en témoigner.
Pendant 4 mois, du 15 janvier au 15 mai, 21 universités populaires donneront des cours le dimanche après-midi pour une population dont l’âge varie entre 18 et 80 ans.
Le vœu des promoteurs de l’Université populaire est d’initier «une solidarité dans le partage du savoir, qui n’est pas moins importante que la solidarité matérielle».
