Climat
«L’accompagnement financier des entrepreneurs est l’un des obstacles à la transition énergétique»
Les transitions énergétiques reposent sur deux axes de même importance, les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique. Les priorités concernent le renforcement des capacités et le transfert de technologie mais aussi les financements dédié. L’AMEE lance annuellement des campagnes de formation et de sensibilisation à destination du grand public.
La transition énergétique nécessite la mobilisation de fonds suffisants. Ce qui pourrait se présenter comme une contrainte pour beaucoup d’industries. Comment devrait se réaliser cette transition ?
Les transitions énergétiques reposent sur deux axes de même importance. Le premier est celui des énergies renouvelables permettant de produire de l’énergie décarbonée et qui aujourd’hui, lorsque des bonnes politiques sont menées, les investisseurs se bousculent pour développer des projets. L’autre axe de la transition énergétique concerne l’efficacité énergétique. C’est malheureusement le parent pauvre. Moins visible, car il s’agit d’accompagner des politiques et non des projets «visibles» comme peuvent être les centrales solaires ou éoliennes, il a cependant autant d’impacts sur les économies et sur l’environnement. L’Agence internationale de l’énergie et ses Etats membres ont défini l’efficacité énergétique comme étant l’option la plus rapide et la moins coûteuse pour faire face aux problèmes de sécurité énergétique et aux défis économiques et environnementaux. Effectivement, l’accompagnement financier des entrepreneurs dans la mise en place de programmes ou projets intégrant les énergies vertes et l’efficacité énergétique a été par le passé l’un des principaux obstacles rencontrés lors de la mise en œuvre de cette transition, notamment par manque de sensibilisation des banques et bailleurs de fonds internationaux sur la technologie et les risques. Actuellement, et dans le cadre de la dynamique générale de développement durable que le Maroc a lancé, le secteur financier a créé plusieurs produits financiers dédiés à ce type de projets. Les bailleurs de fonds internationaux comme la BERD, la BEI ou la KfW ont adhéré à ce processus dans le cadre des mécanismes de financement de l’Energie Durable et nous voyons actuellement une offre très intéressante avec des subventions d’investissement qui sont proposées par les banques locales bénéficiant de ces fonds (MORSEFF avec BMCE Bank et BCP) mais aussi des lignes propres (AWB pour l’efficacité énergétique et CAM pour le pompage solaire). Lors de la COP, les priorités concernent le renforcement des capacités et le transfert de technologies mais aussi les financements dédiés pour accompagner cette transition énergétique, surtout dans les pays du Sud. Et il ne s’agit pas seulement de montant mais aussi de procédures simplifiées pour pouvoir en bénéficier.
Ce problème est encore plus visible pour les PME qui représentent le gros du tissu économique marocain. Seraient-elles à même de répondre à ce défi climatique ?
Absolument. L’offre existante dans notre pays, dont je viens de parler, existe pour tous les promoteurs ou porteurs de projets et elle couvre surtout les projets des PME. Et il faut le rappeler lorsqu’on entame cette transition énergétique, il est bien sûr question d’environnement mais aussi de réduction de la facture énergétique des entreprises et d’amélioration de leur compétitivité.
De quelle manière les PPP devraient-elles agir pour justement contribuer à promouvoir cette transition énergétique ?
Le Partenariat Public Privé (PPP) reste un outil incontournable pour mobiliser de grands investissements à l’échelle nationale ou internationale. L’énergie demeure effectivement l’un des secteurs qui profite le mieux de cette approche. Le Maroc a multiplié les investissements dans ce sens dans les projets de production d’énergie. Les stratégies solaires et éoliennes marocaines (institutions dédiées, visibilité donnée aux investisseurs, appels d’offres transparents, PPP) ont permis d’attirer des dizaines d’investisseurs et d’obtenir des prix exceptionnellement bas tout en développant une industrie locale. Un effort supplémentaire devrait néanmoins être entrepris au niveau local dans la gestion de l’approvisionnement énergétique des régions et la création de nouvelles sociétés de service énergétique dans l’amélioration des services publics.
Le Maroc s’est engagé à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. Comment l’AMEE est impliquée dans l’atteinte de cet objectif. Quelles sont les entités visées et surtout en mobilisant quels moyens financiers ?
Oui, c’est notre engagement qui tient compte surtout de notre programme sur les énergies renouvelables. C’est 32% si nous sommes accompagnés financièrement. Lors des COP, seules les énergies renouvelables sont mises en avant lors des débats sur l’atténuation alors que de bonnes politiques d’efficacité énergétiques ont autant d’impact, sinon plus, sur les émissions de gaz à effet de serre. Les deux doivent aller de pair si les pays veulent atteindre leurs engagements. Dans notre pays, dès mars 2009, lors des Assises de l’énergie, la lettre royale a donné priorité aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique dans la politique énergétique. L’objectif à l’horizon 2030 est pour les énergies renouvelables d’atteindre 52% de la capacité électrique, et pour l’efficacité énergétique c’est une réduction de 20% par rapport à un scénario «business as usual». L’Agence marocaine nationale pour l’Efficacité Energétique (AMEE), est chargée de promouvoir l’efficacité énergétique dans plusieurs secteurs cibles (transport, bâtiment, industrie, agriculture et l’éclairage public). Il s’agit de mettre en place de nouvelles mesures réglementaires, des financements dédiés, mais aussi des projets pilotes, de la formation et de la sensibilisation. Avec la maîtrise de l’offre, la maîtrise de la demande en énergie est l’un des défis majeurs pour notre pays confronté à une dépendance énergétique importante, de l’ordre de 95%. L’efficacité énergétique est en effet une des clés pour à la fois diminuer notre consommation énergétique en assurant le même service, mais aussi diminuer les émissions de gaz à effet de serre et créer un nouveau marché d’emplois verts. L’objectif est d’introduire de nouveaux concepts et les bonnes pratiques. Dans le bâtiment résidentiel et tertiaire qui représente près de 33 % de notre consommation énergétique, il s’agit d’accompagner l’application de la réglementation thermique obligatoire et la diffusion des équipements électriques efficaces. Dans l’industrie, l’AMEE mène et incite à réaliser des audits énergétiques, et propose de ce fait un ensemble de mesures simples et rentables aux industriels appelés à être plus compétitifs. Le transport, grand secteur consommateur d’énergie (près de 40%), reste le plus complexe à aborder à cause de la multitude des intervenants, mais les solutions existent et plusieurs programmes sont en cours de déploiement à l’échelle nationale et régionale. L’agriculture et l’éclairage public représentent aussi une part non négligeable dans la consommation énergétique nationale et des mesures d’aide et de sensibilisation à destination des collectivités locales et des agriculteurs sont en cours de réalisation par l’agence.
Vous avez évoqué récemment la nécessité d’instaurer une économie verte en insistant sur le ciment, l’agriculture, l’hôtellerie ; chacun avec une approche de financement différente. Comment devrait se décliner cette approche personnalisée selon les secteurs ?
Chaque secteur a ses spécificités, notamment en matière de capacité de financement, de taille de marché ou de technologie adaptée. Il s’agit alors, et c’est notre approche, de caractériser chaque secteur, de monter des projets pilotes puis de proposer des approches financières en étroite collaboration avec les banques et bailleurs de fonds internationaux. Nous avons suivi cette voie par le passé dans d’autres secteurs qui ont donné des résultats très positifs. Par ailleurs, il existe des secteurs très particuliers comme l’agriculture ou le transport, qui nécessitent des approches particulières ; notamment à cause de la complexité de la mise en œuvre et la mise en place de mesures incitatives et d’indicateurs de suivi fiables et durables. Mais le benchmark réalisé au niveau international a montré que l’économie d’énergie engendrée, économise la construction de nouvelles centrales électriques et l’importation croissante d’énergie.
Un effort de sensibilisation et d’accompagnement est jugé nécessaire pour une transition vers un Maroc vert. Quelles seraient dans ce cadre
les actions de l’AMEE ?
C’est l’une de nos missions fondamentales, avec la formation, si l’on sait qu’une majeure partie des économies réalisées par la mise en place des mesures d’économie d’énergie est d’ordre comportementale au niveau du citoyen, et stratégique dans l’intégration de la composante efficacité énergétique au niveau des promoteurs, investisseurs, bureaux d’études ou plus simplement dans les cahiers des charges. Car ce sont tous les secteurs qui sont concernés : du bâtiment résidentiel et tertiaire à l’industrie, au transport individuel ou collectif ou dans le milieu rural. L’AMEE lance annuellement des campagnes de formation et de sensibilisation à destination du grand public à travers les médias audiovisuels, ou en ciblant les professionnels du secteur du bâtiment, de l’industrie ou dans le secteur agricole. Les communes urbaines sont aussi concernées, particulièrement lors de la mise en place des Plans de déplacement urbains, qui doivent intégrer la composante efficacité énergétique dans le transport et l’éclairage public. Nous avons aussi une approche territoriale «Jiha Tinou» qui vise à encourager les initiatives locales, tout en favorisant la déclinaison de la stratégie énergétique nationale au niveau des territoires et collectivités du Royaume.
Le Chili est un exemple à suivre en matière de production d’électricité. Le pays distribue de l’électricité gratuitement à ses habitants dans certaines régions qui est produite à partir de l’énergie solaire. Le Maroc pourrait-il prétendre un jour à ce niveau ?
Attention, cela est valable à certaines heures seulement. Il faut absolument garder un modèle économique pour le développement des projets et surtout pour garder l’esprit de l’efficacité énergétique. Quand l’énergie est gratuite, nous avons tendance à la gaspiller. Il faut absolument éviter cela et les politiques énergétiques doivent être cohérentes. Il faut un juste prix de l’énergie, arrêter les subventions aux énergies fossiles et plutôt accompagner les couches sociales les plus défavorisées à s’équiper de technologies moins énergivores mais souvent plus chères en investissement.