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1993 : IBM quitte le Royaume…

Les temps ont commencé à changer, le géant américain de l’informatique ne pouvait plus suivre. Coupes budgétaires, licenciements… Un modèle s’effondre. Sa filiale marocaine en fait les frais.
Ses clients, dont les banques, les assaurances et près de 300 PME-PMI, s’inquiètent.

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Comme La Vie économique l’avait précisé et de l’aveu même des responsables internationaux du leader mondial en informatique, c’est une décision stratégique prise il y a cinq ans qui a motivé le désengagement d’IBM du Maroc. La firme, qui comptait à cette époque plus de 410.000 salariés de par le monde, avait décidé de «dégraisser», ce qui s’est traduit effectivement par des licenciements ou des filialisations (en Afrique notamment). Ainsi, entre 1990 et 1992, 100.000 personnes ont quitté le groupe et, en 1993, il est prévu le départ d’au moins 30.000 salariés. IBM affiche des pertes «sèches» de 5 milliards de dollars en 1992, et la célèbre chaîne de télévision américaine CNN n’hésite pas à qualifier la situation présente «d’agonie d’IBM».

Fuite des cerveaux
C’est dans ce contexte général de crise et de repli qu’il faut replacer la volonté d’IBM France de se séparer de sa structure au Maroc par une filialisation et l’entrée dans le capital de cette nouvelle société de droit marocain, d’un partenaire que l’on souhaitait puissant et motivé (ONA).
Les salariés marocains refusèrent ce plan de liquidation, au motif irrécusable que l’entreprise était performante, bénéficiaire, détenait plus de 50% du marché national. La proposition des employés, celle d’un partenariat, à l’image des cas ivoiriens ou sénégalais, fut refusée et, après une grève très médiatisée, cinquante-neuf salariés eurent à choisir entre l’intégration au sein d’ELBM ou le départ avec indemnisation.
Chacun sait que l’ONA était sur les rangs avant que la grève n’éclate. Le conflit, sans effrayer totalement les repreneurs, a sans doute motivé une attitude d’expectative qui pourrait évoluer rapidement, maintenant que le dossier social est bouclé. La précarisation de l’emploi et les clauses léonines du transfert à ELBM ont donc conduit vingt-deux salariés à refuser la nouvelle structure. Signalons, tout d’abord, que tous les cadres supérieurs et autres directeurs ont préféré partir, à l’exception du directeur administratif et directeur général. Cinq directeurs sur six ont abandonné ELBM.
Tous les ingénieurs sont partis, à l’exception de ceux qui ont moins de cinq années d’ancienneté (six personnes). Les managers marketing et ceux de la maintenance ont également quitté l’entreprise, ainsi que les technico-commerciaux.
Que reste-t-il donc d’IBM à ELBM ?
Un directeur général qui devrait quitter le Maroc en juin prochain, un directeur administratif, six jeunes ingénieurs et les techniciens de maintenance. «But, where is the brain ?».
D’aucuns se posent d’ailleurs la question de savoir si ELBM, dans les conditions présentes, pourra reprendre le flambeau d’IBM, sachant par exemple que parmi les partants figurent des ingénieurs qui avaient, seuls, les compétences pour certaines installations informatiques «importantissimes» ou très sensibles. Qui donc désormais, à moins de faire venir des expatriés en mission ou à plein temps, va s’occuper de la COMANAV, de l’OCP, de RAM, de l’ONPT, des grandes assurances et autres offices, de plus de 300 PME-PMI ?
Quelle compétence aura à charge la maintenance du système «MVS» qui équipe la BCP ou la DGSN … ? Les clients importants et traditionnels d’IBM ne vont-ils pas pâtir de ces départs ?
La question est en tout cas posée, tout comme celle de ces salariés d’IBM qui refusent ce qu’ils considèrent comme un licenciement abusif, s’apprêteraient à ester en justice pour réclamer réparation du préjudice subi. Il semble donc que la «transformation» d’IBM en ELBM ne se sera pas faite sans dégât… Et ni M. Calmels (le négociateur de «l’arrangement» transactionnel) parti à la retraite, ni M. Beurdelay, qui a quitté la direction du département Afrique d’IBM France, ne viendront infirmer ce constat !

A la Une de «La Vie économique», le 12 février 1993, au sortir du PAS, investissement public conséquent pour booster l’économie.