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Influences

1973 : Marocanisation, vendre ou muter

Il y a cinquante ans, le milieu des affaires était suspendu à un décret d’une importance capitale. En attendant, les seules issues pour les «marocanisés» : la vente ou la société anonyme. Dans tous les autres cas, les associés doivent être marocains ou détenir 51% du capital.

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Le dahir établissant une distinction entre personne morale marocaine et étrangère est donc paru au BO en date du 7 mars. Ce texte législatif apporte une nouvelle notion en matière de droit commercial et il constitue le cadre dans lequel pourra s’effectuer la politique de marocanisation.
On dira par ailleurs le texte du dahir. On peut constater que la seule formule permettant à des étrangers de participer à des sociétés réputées marocaines est la société anonyme, à condition que la moitié, au moins, du capital soit «marocain» (minimum admis donc : 50%), que la majorité du conseil soit composée de Marocains et que le président ou, le cas échéant, l’administrateur délégué soit marocain. Dans tous les autres cas, tous les associés doivent être marocains et dans les sociétés à commandite, le capital «marocain» doit atteindre un minimum de 51%. Voilà donc le cadre dans lequel doit s’effectuer la marocanisation des entreprises. Cette marocanisation sera effectuée par des décrets qui préciseront les activités qui devront être assurées par les seuls nationaux marocains ou sociétés marocaines. Notons qu’il n’y a pas de gradation dans la marocanisation : elle ne peut se faire que de la manière qui vient d’être précisée. Quels sont les secteurs économiques concernés ?
Le dahir-cadre est muet sur ce point et, en principe, toutes les activités peuvent être marocanisées. En fait, si (l’agriculture) est intégralement marocanisée, il ne semble pas que les industries ou les mines soient concernées. Dans le secteur secondaire, le libéralisme resterait donc la règle.
Le gros point d’interrogation qui se pose est donc celui du secteur tertiaire. Sera-t-il marocanisé en totalité ou en partie ? Il faudra attendre les décrets d’application pour le savoir. Il semble, toutefois, pour les affaires importantes que la constitution de sociétés anonymes offre le moyen d’une marocanisation où les intérêts des anciens majoritaires peuvent être préservés, et où prises familiales ou de petite envergure où la vente globale constituerait en définitive la seule possible. Mais à quel prix ? L’offre étant plus abondante que la demande, les prix peuvent s’en ressentir. Toute idée de spoliation, on le sait, est écartée de l’esprit du législateur. Les nouveaux associés devraient en principe acheter leurs actions, grâce à leurs propres ressources, sinon grâce à des prêts de l’État. Mais quelle sera la base de ces transactions ? Le capital social ou la valeur réelle de l’entreprise ? Pour les affaires florissantes, la demande étant importante, les enchères peuvent monter. En fait, il se créera une sorte de bourse où chaque affaire sera finalement cotée à sa juste valeur. Mais faut-il pour que cette bourse reflète la vérité que les délais de transformation soient suffisamment longs?
Comme on le voit, tout dépendra de ces décrets et de l’esprit dans lequel ils seront pris. Ils seront arrêtés, précisons-le, en Conseil des ministres. Il faut cependant que les étrangers actuellement au Maroc se gardent de tout pessimisme injustifié. L’incertitude dans laquelle ils se trouvent actuellement est évidemment génératrice de plus ou moins de rumeurs fondées. Ce n’est que lorsque les décrets paraîtront que l’on pourra mesurer la portée exacte de la marocanisation, encore que certains feront remarquer non sans raison qu’aucune limite ne semble fixée à ces opérations.

Les conventions d’établissement
Il est pourtant un passage du dahir qui doit retenir l’attention. C’est celui où il est mentionné «Sous réserve de l’effet des conventions internationales dûment publiées…». Ce passage semble concerner les conventions d’établissement conclues par le Maroc, notamment avec les pays maghrébins et le Sénégal. Les ressortissants de ces pays pourraient donc échapper à la marocanisation. Mais dans quelle mesure une société peut-elle être algérienne ou sénégalaise, alors que jusqu’ici toutes ces sociétés étaient réputées marocaines ?

Dans les colonnes de «La Vie économique»
du 16 mars 1973, le cadre dans lequel doit s’effectuer la marocanisation des entreprises.