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Idées

Y aura-t-il du nouveau aux assises de l’emploi ?

Le débat sur l’emploi peut-il n’être vraiment qu’un débat sur l’emploi ? Ne serait-il pas aussi un débat sur la répartition des richesses, sur la place des jeunes et des vieux dans la société, sur le rôle des hommes et des femmes…? A travers lui, l’ensemble des fondements d’une politique de développement sociale est mis en question.

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Pourra-t-on en finir un jour avec le chômage ? Une grande partie des économistes, qui sont par nature plutôt pessimistes – l’économie «science lugubre», disait l’historien anglais conservateur Carlisle à  la fin du XIXe siècle, ne le croient guère. Bon nombre d’entre eux estiment en effet qu’il existe différents taux de chômage. Le vocabulaire, dans ce domaine, est d’une grande richesse, puisqu’on rencontre des notions comme le «taux de chômage naturel», «structurel», «tendanciel», «d’équilibre», «non inflationniste», etc. Certes, tous ces termes ne signifient pas exactement la même chose, mais, au-delà  des nuances sémantiques, ils indiquent que, aux yeux des économistes qui adhèrent à  ces concepts, il va falloir vivre avec le chômage comme avec les déchets nucléaires : longtemps. Le chômage serait ainsi, comme le chewing-gum, collant et résistant. Les pessimistes vous diront que l’emploi au Maroc est un domaine sinistré, en dépit des évolutions conjoncturelles. Et que, du reste, rien ne permet d’exclure dans les années qui viennent des chocs macroéconomiques ou autres qui viendraient remettre en cause les améliorations ponctuelles. Il n’y a pas besoin de professer ce pessimisme pour reconnaà®tre que le développement du chômage de longue durée et des jeunes diplômés a provoqué la plupart des maux dont souffre aujourd’hui notre société. Qu’ils se nomment creusement des inégalités, développement de la pauvreté ou montée de l’exclusion. Le chômage de masse et le changement de rapport de force sur le marché du travail qui en a résulté ont progressivement provoqué une dégradation des normes d’emploi, en pratique comme en droit, en termes de stabilité comme de niveau de salaire. D’o๠la montée d’un emploi à  plusieurs vitesses, opposant ceux qui conservent des statuts «normaux» (contrats indéterminés et à  temps plein) et la masse de ceux qui n’accèdent à  l’emploi que sous des formes dégradées : sous-emploi, temps partiel, voire activités sous-rémunérées. Tous les chômages ne sont pas identiques. Le chômage d’insertion touche une large composante de la jeunesse parce que celle-ci est dépourvue d’expérience professionnelle. Avant de trouver un éventuel emploi – qui n’est pas toujours celui espéré -, les diplômés chanceux cherchent longtemps, et de plus en plus longtemps. Le chômage d’exclusion, en revanche, concerne essentiellement les jeunes sans qualification, dont les employeurs ne veulent pas parce qu’ils craignent qu’ils soient insuffisamment productifs. Les plus optimistes vous diront que le chômage n’est pas une fatalité. On ne compte plus les colloques, les articles, les prises de position à  ce sujet. La panoplie des politiques d’emploi est bien connue : mesures «passives», qui visent à  compenser les effets du chômage par des mesures de solidarité, et à  écarter des candidatures à  l’emploi jugées inopportunes, par des préretraites ou par divers dispositifs ; mesures «actives», qui cherchent en principe à  agir sur le niveau d’emploi ou sur la confrontation entre offreurs et demandeurs. Ces interventions se déclinent en quelques grands blocs : créations d’emplois ; formation-insertion des chômeurs diplômés, incitations à  l’emploi ou à  l’embauche ; mesures visant à  améliorer l’information sur le marché du travail et le rôle d’intermédiation des agences de l’emploi. Il est reconnu que certaines politiques de l’emploi sont fort utiles, voire indispensables, dans un contexte de marché du travail dégradé. Et pourtant, ce qui frappe l’observateur attentif, c’est de constater à  quel point ces politiques, déjà  mises en Å“uvre, n’aient jamais fait l’objet d’une évaluation d’impact. Une évaluation pourtant essentielle à  mobiliser dans le débat public. Souhaitons que les nouvelles assises sur l’emploi apportent du nouveau par rapport aux politiques déjà  mises en oeuvre. Mais, en réalité, le débat sur l’emploi peut-il n’être vraiment qu’un débat sur l’emploi ? Ne serait-il pas aussi un débat sur la répartition des richesses, sur la place des jeunes et des vieux dans la société, sur le rôle des hommes et des femmes… En fait, à  travers lui, l’ensemble des fondements d’une politique de développement sociale est mis en question. Autant dire que les équations des économistes ne sont que d’un piètre secours et qu’il est normal que sortir du chômage de masse soit un processus lourd et difficile…