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Idées

Une seule épouse, ça ne suffit pas…

Prenant acte de la réelle difficulté des femmes travaillant à  l’extérieur à  concilier obligations professionnelles et devoirs de mère et d’épouse, elle propose une solution radicale : la polygamie.

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«La polygamie est un droit pour la femme autant que pour l’homme». Qui est l’auteur de ce propos ? Un de ces barbus au regard incendié qui jette l’anathème sur tout ce qui fleure la vie, une de ces femmes hiboux dont la seule vue vous donne la migraine pour la journée ? Non, pas du tout. Ce point de vue est défendu par une femme active et cultivée, qui s’habille à l’occidentale et va tête nue dans un pays, l’Egypte, où la majorité de ses compatriotes porte le hijab. Par ce pavé jeté dans la mare, Hayam Dorbeck, journaliste égyptienne de quarante-deux ans, a créé la polémique chez elle et au-delà. C’est de l’ensemble du monde arabe en effet que s’est élevé le courroux de bon nombre d’associations des droits de l’homme devant la campagne médiatique dont la dame s’est faite l’initiatrice et dont l’objet est donc la polygamie, ce symbole fort de la sujétion féminine dans la législation islamique. De par l’image qu’elle renvoie et le métier qui est le sien, Hayam Dorbeck présente toutes les caractéristiques de la femme arabe moderne. D’où le choc et l’émoi provoqués par ses déclarations, en contradiction totale avec les positions de principe du camp auquel elle est censée appartenir. L’intéressée a fait plus qu’exprimer un point de vue. Elle a joint le geste à la parole par la création de Tayssir, une association de défense de la polygamie, et s’est faite militante convaincue de cette cause. Quant à sa devise de campagne Une seule femme, cela ne suffit pas, elle vous fait dresser les cheveux de la plus soft des féministes. Alors quid de ce positionnement contre-nature et que nous donne-t-il à penser ?
Hayam Dorbeck est une de ces femmes actives dont le travail remplit la vie et dont la disponibilité pour assumer les charges familiales est réduite. «Mon mari m’a choisie mais je travaille et ne trouve pas beaucoup de temps pour la maison ; devrions-nous nous séparer?», fait-elle demander dans un de ses slogans. Prenant acte d’une situation de fait, à savoir la réelle difficulté des femmes travaillant à l’extérieur à concilier obligations professionnelles et devoirs de mère et d’épouse, elle tranche dans le vif en proposant une solution radicale : un clone de soi en la personne d’une autre pour cet homme-enfant qu’on ne peut laisser trop longtemps sans maman ni amante. Car tout se décline autour de la même idée : un mari ne peut rester seul, il lui faut quelqu’un pour s’occuper de lui sinon il ira courir la tarentelle. Alors tant qu’à faire, pour garder la mainmise sur son (petit) homme, autant lui offrir à domicile ce que, à défaut, il s’en irait chercher ailleurs. Relayé par la presse arabe et occidentale, ce débat a suscité moult réactions. Alors que les propos de Hayam Dorbeck ont créé une véritable onde de choc auprès de très nombreuses Egyptiennes, il s’en est trouvé d’autres pour approuver. «La polygamie est une solution à l’adultère et à l’immoralité qui dominent dans les sociétés occidentales», explique ainsi Afaf es Sayf, auteur de romans, et autres de ces «militantes» new wave des droits de la femme. Pour Hayam Dorbeck et ses compagnes, la polygamie se présenterait comme le remède miracle aux maux qui secouent la société arabe, déchirée entre réformistes et fondamentalistes. Et de rappeler cet autre problème sociétal auquel il apporterait réponse, l’accroissement exponentiel du nombre des femmes célibataires qui avancent en âge sans trouver chaussure à leur pied (rajel ly ghati lihoum rashoum).
Ce positionnement d’une femme «moderne» en faveur de la polygamie a des chances de rencontrer l’approbation d’un nombre non négligeable d’hommes tout aussi «modernes» de nos sociétés arabes et musulmanes. Une seconde femme pour combler les absences et les manques de la première, voilà qui satisferait plus d’un fantasme. Sauf que, si l’on est un homme digne de ce nom, à savoir un être mature et équilibré, on ne saurait supporter de voir se poser sur soi un tel regard d’infantilisation. On ne saurait accepter de se laisser réduire à la dimension du mâle prisonnier de ses instincts au moment justement où cette épouse prend son envol et se réalise ailleurs en tant qu’être à part entière. Du haut de leur superbe, bien des maris ne se rendent pas compte avec quelle commisération les considèrent leur douce moitié lorsqu’ils se laissent aller à des colères de gamins gâtés. «La polygamie, soutient non sans pertinence Hayam Dolbeck, permet à la femme de disposer d’un espace de liberté». Cela rejoint l’opinion de cette figure connue de l’intelligentsia féminine marocaine qui, à un moment de sa vie et alors qu’elle avait toujours été une personne très libre, épousa en deuxième ou troisième noce un polygame. A la question de savoir comment elle conciliait ce choix avec ses convictions féministes antérieures, elle répondait tranquillement qu’elle n’y voyait aucune contradiction. Cette solution lui permettait de satisfaire son besoin de maternité, de sexualité, de tendresse «sans avoir un homme dans les pattes en permanence…».
Mais dans tout cela, qu’en est-il du couple ? La société traditionnelle avait pour clé de voûte la famille patriarcale. La société actuelle qui aspire à la démocratie ne peut l’être sans cette cellule familiale rénovée. Cette cellule où il n’est pas un maître et un contremaître mais deux êtres égaux qui se reconnaissent et s’acceptent dans leur différence.
Alors la polygamie, oui… pour qui n’a que faire du respect, de soi et de l’autre…