Idées
Une question de temps
depuis le temps que cette heure d’été a été instaurée, on pensait que ce changement saisonnier allait être admis et intégré par l’horloge interne et collective d’une large partie de la population. c’est compter sans la résistance au changement, quel qu’il soit, et le refus de toute nouvelle «tradition» autre que celles, déjà bien nombreuses, qui ont forgé l’imaginaire des gens et leur rapport au temps.

Sommes-nous tous comme Saint-Augustin (théologien et philosophe né en Afrique du Nord en 354 après J.C), qui disait savoir ce qu’est le temps lorsque personne ne le questionnait, mais être incapable de le définir lorsqu’on lui demandait de le faire ? Si oui, nous sommes alors tous de sages philosophes entretenant le même rapport au temps que ce théologien chrétien du IVe siècle.
Si on vous parle du temps, c’est parce qu’il est devenu, si l’on ose dire, le sujet de l’heure. Il l’est devenu précisément à la faveur du passage à l’heure d’été qui a été instauré, depuis quelques années déjà, comme une tradition temporelle plus ou moins mal accueillie. Plutôt moins, si l’on en croit les micros-trottoirs que les médias répercutent des jours durant en fin des JT ou à la radio. Il faut dire aussi que ce changement d’horaire est mal nommé puisqu’il débute au début du printemps. Un printemps, qui plus est, plutôt frisquet et assez pluvieux. A la question simple et concise: «Que pensez-vous de l’heure d’été?», certaines personnes sortent de leurs gonds et invectivent les responsables en les accusant de nuire gravement à leur santé. «Had assa3a tatbarzetna» Traduction de ce sabir : «Cette heure nous parasite», c’est-à-dire qu’elle les perturbe. Et d’énumérer les désagréments : manque de sommeil, retard au travail, et aussi et surtout insistent certains, retard pour les prières. Argument «indiscutable» selon eux car il y en a cinq par jour, calées sur le calendrier lunaire. Etrange et fallacieux argument qui réduit l’espace d’une religion à un temps unique et lunaire de sorte qu’un Musulman résidant au Nord du globe ne saurait point à quel saint ou fuseau horaire se vouer…
Depuis le temps que cette heure d’été a été instaurée, on pensait que ce changement saisonnier allait être admis et intégré par l’horloge interne et collective d’une large partie de la population. C’est compter sans la résistance au changement, quel qu’il soit, et le refus de toute nouvelle «tradition» autre que celles, déjà bien nombreuses, qui ont forgé l’imaginaire des gens et leur rapport au temps. Pourtant, études et sondages ont été réalisés au préalable depuis plus de dix ans afin de s’assurer d’un bon accueil auprès de la population. Mais il faut croire que, tout comme les bons conseils qui ne font du bien qu’à ceux qui les donnent, les bons sondages ne font plaisir qu’à ceux qui les réalisent. Ces sondages auraient révélé qu’une majorité des gens ne voient aucun inconvénient dans le décalage d’une heure. D’autant que pour les uns, rares, cela serait bénéfique pour l’économie de l’énergie, et pour d’autres une journée rallongée c’est bien utile pour prolonger tel ou tel loisir en période estivale. Mais chez nous, les sondages comme le reste n’engagent que ceux qui y croient. Un autre facteur qui ne relève pas de l’impondérable mais bien des traditions, voire de la foi, vient perturber cette disposition administrative qui s’inscrit, elle, dans une forme de modernité toute profane. Le mois sacré de Ramadan (en fonction de la rotation des mois selon le calendrier lunaire) exige une pause d’une période de trente jours où les montres retournent à l’ancien horaire auquel sont habitués les fidèles. C’est ce va-et-vient entre des temps alternatifs, sinon contradictoires, qui affolerait, selon certains, les aiguilles de l’horloge interne. Vrai ou faux ? Pour un mois aussi sacré personne ne prendrait le risque de réaliser un sondage sur la question. Toujours à propos de temps, élément indéfinissable dont la gestion semble perturber constamment nombre de compatriotes, il faudrait citer celui de l’horaire continu. Il avait soulevé lors de son instauration un vif débat avant d’être adopté et surtout «adapté» chacun selon son cas ou ses besoins. Là aussi, on sait que le sondage réalisé à l’époque avait fait ressortir un taux de satisfaction digne d’un score électoral des années 80. Approuvé à l’unanimité ou quasiment selon les organisateurs, avant que des voix réfractaires se mettent à énumérer et brandir des inconvénients de toutes sortes. Le premier d’entre eux relève de l’alimentaire (élémentaire, mon cher Watson !) : le problème du déjeuner, les dépenses supplémentaires et bien entendu le manque de cantines sur les lieux du travail. Et puis le temps fabrique l’habitude et les habitudes alimentaires ont la peau dure. Or on sait que depuis que la fonction publique existe, tout fonctionnaire qui se respecte prend son déjeuner chez lui entouré des siens.
D’autres critiques et griefs ont été exposés, mais le temps a fait son travail, si l’on ose dire, et les fonctionnaires ou assimilés en ont pris leur parti ou se sont résignés non sans introduire des «accommodements» plus ou moins raisonnables. Finalement et en bref, comme dirait Courteline justement en une… courte ligne : «Pendant que les années passent, les idées marchent».
