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Idées

Un grand moment d’histoire

Que, maintenant, Barak Obama gagne ou perde les élections à  venir, qu’il soit, en cas de victoire, un bon ou un mauvais président, devient secondaire. Le plus important est ce qui s’est joué jusque-là , cette révolution mentale dans un pays où on ne pouvait concevoir qu’un Noir puisse être l’égal d’un Blanc.

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Cequi s’est joué à Denver, du 25 au 28 août, ne concerne pas les seuls USA. Il s’est agi certes d’un événement américain – la Convention nationale démocrate lors de laquelle le Parti démocrate a désigné son candidat à l’élection présidentielle de novembre 2008 – mais, par sa dimension symbolique, cet événement dépasse les frontières américaines.

Il relève de ces moments d’histoire qui signent un basculement du cours de la vie des hommes. Premier Noir à être investi en tant que candidat à la présidence de la plus grande puissance du monde, Barack Obama a prononcé son discours d’investiture le jour même du 45e anniversaire du mémorable «I have a dream», du révérend noir Martin Luther King.

Le 28 août 1963, à l’issue de la «Marche vers Washington» pour le travail et la liberté, cette figure emblématique de la lutte pour les droits civiques aux USA, avait clamé son rêve de voir un jour ses enfants vivre dans une nation où ils ne seraient pas jugés pour la couleur de leur peau mais pour le «contenu» de leur personne. Cela lui valut d’être assassiné cinq ans plus tard.

Dans une Amérique où les enfants noirs n’étaient pas autorisés à jouer avec les petits Blancs, où des lois ségrégationnistes séparaient les deux communautés dans les bus, les écoles et autres lieux publics, où les descendants d’esclaves n’avaient pas le droit de vote et subissaient la discrimination à tous les niveaux de la vie sociale, ce rêve relevait de la grande utopie. Quant à imaginer un homme de couleur à «un battement de cils de la présidence des USA», c’eût été tout simplement de l’ordre de l’impensable. Dans ses espoirs les plus fous, même un Martin Luther King n’aurait pu aller jusque-là.

Or, un fils d’Africain, un enfant de cette race noire, vilipendée, humiliée, honnie et vomie à travers les siècles, a été choisi par des millions d’Américains pour briguer la Maison Blanche. Que, maintenant, il gagne ou perde les élections à venir, qu’il soit, en cas de victoire, un bon ou un mauvais président, devient secondaire. Le plus important est ce qui s’est joué jusque-là, cette révolution mentale dans un pays où on ne pouvait concevoir qu’un Noir puisse être l’égal d’un Blanc.

Me revient en mémoire cette discussion menée, au début des années 80, avec un Américain habitant la Caroline du Sud, professeur à l’université. Cependant, bien qu’il fût intellectuellement pourvu, l’infériorité des Noirs par rapport aux Blancs relevait de ces choses évidentes qu’il ne lui serait jamais venu à l’idée de remettre en question. Face à des arguments que sa rationalité ne pouvait contrer, il avait fini par admettre qu’effectivement la question se discutait.

Mais, quand j’ai poussé la provocation jusqu’à lui demander ce qu’il ferait si sa fille se choisissait un Noir pour époux, sa réponse fut sans appel : «Je le tue, me dit-il, et vous pouvez en penser ce que vous voulez !» Et de m’expliquer en riant, qu’avec cela, lui, par rapport à sa mère, faisait figure de grand progressiste. Il me raconta ainsi qu’il avait eu, lors de ses années d’université, un camarade indien particulièrement intelligent. Un jour, il l’amena passer la nuit chez ses parents. Sa mère, sur le moment, ne put rien dire.

Mais que fit-elle après leur départ, se remémora-t-il en partant dans un grand éclat de rire ? Elle désinfecta la chambre et brûla les draps dans lesquels avait dormi l’étudiant indien! C’était cela, l’Amérique profonde. Aujourd’hui encore, des gens qui agiraient de la sorte existent toujours, là comme ailleurs.

D’où la portée monumentale de l’événement qui a eu Denver pour scène en cette fin de l’été. De par le monde et de par le temps, des générations d’hommes et de femmes ont été stigmatisées en raison de la couleur de leur peau. La race noire est celle qui a subi les discriminations et les injustices les plus odieuses, ses hommes dépouillés de leur dignité humaine et rabaissés parfois jusqu’au stade animal. Alors, voir un Barack Obama porté là où il est est un formidable message d’espérance pour l’ensemble de l’humanité.

Cela signifie que tout peut être changé, que les combats les plus fous peuvent porter leurs fruits dès lors qu’on y met la foi et la ténacité. Dès lors que l’on croit possible de bonifier l’être humain. «Souvent, écrivait Martin Luther King, les hommes se haïssent les uns les autres parce qu’ils ont peur les uns des autres ; ils ont peur parce qu’ils ne se connaissent pas; ils ne se connaissent pas parce qu’ils ne peuvent pas communiquer ; ils ne peuvent pas communiquer parce qu’ils sont séparés».

Le révérend noir américain se battit en son temps contre les lois ségrégationnistes en vigueur dans son pays. Cette bataille, sur le plan juridique, fut remportée de son vivant. Mais chaque jour, partout à travers le monde, les êtres érigent des barrières entre eux. D’où les haines, d’où le sang versé. Le combat, comme le rêve de Martin Luther King, demeure de ce fait toujours d’actualité pour tous ceux qui veulent – et croient possible de – rendre le monde meilleur.