Idées
Trois ans après : la colère et la peur…
Trois ans après le déclenchement de la seconde Intifada, le chiffre
des morts avoisine les 3 500, 2 612 Palestiniens et 822 Israéliens.
Un bilan auquel se rajoutent les autres milliers de blessés et d’handicapés
à vie, les terres brûlées, les arbres arrachés, les
maisons détruites et cette chose terrible, cet acide meurtrier qui se nomme
la haine.
Trois ans. Trois ans déjà que la révolte a répondu à la provocation. Trois ans déjà que, devant les promesses non tenues et l’arrogance toujours plus grande d’un occupant dédaigneux de la dignité et de la fierté de celui qu’il occupe, les Palestiniens ont repris les armes. La seconde Intifada fête ses trois ans. Au bilan, des morts, encore des morts, toujours des morts. Et la colère, plus forte que jamais, qui s’exporte jusqu’à nos rivages.
La goutte, ce fut cette visite d’Ariel Sharon, entouré d’un imposant dispositif de sécurité, sur l’Esplanade des Mosquées, le lieu le plus sacré de Palestine pour les Palestiniens musulmans. Une provocation voulue, délibérée. Yasser Arafat, que les Israéliens ont eu beau jeu par la suite de rendre responsable de ce retour à la violence, avait prévenu du risque d’explosion dont cette visite serait grosse.
En effet, au bout de sept ans d’un processus de paix auquel ils avaient accordé leur confiance et qui devait leur permettre, en échange de 72% de la Palestine historique, de construire un Etat libre et indépendant sur les 22% restants, les Palestiniens ont vu leurs espoirs disparaître. Entravés dans leur emploi (réduction drastique des permis de travail en Israël) et dans leurs mouvements (nécessité désormais d’une autorisation pour circuler d’une zone à une autre), au lieu de s’améliorer, la situation du plus grand nombre s’est davantage dégradée.
Certes, l’armée israélienne s’est retirée des grandes villes de Cisjordanie et de Gaza, certes l’Autorité palestinienne en a pris le contrôle administratif mais l’occupant est resté, doigt sur la gâchette, à la lisière des villes. Et surtout, comble du comble, il n’a pas arrêté son processus de colonisation. Plus encore ; il l’a accéléré. On parlait aux Palestiniens de paix et d’indépendance mais, dans le même temps, on arrachait leurs oliviers et on les dépossédait plus encore de leur terre.
Au bout de sept ans, la coupe a débordé, aidée en cela par la décision d’Ariel Sharon de se rendre sur l’Esplanade des Mosquées. Le Président palestinien tenta bien de faire revenir le tristement célèbre général sur son projet. Peine perdue. Le sol de l’enceinte sacrée fut foulé. Et ce 29 septembre 2000, les premiers morts de la seconde Intifada tombaient.
Trois ans plus tard, leur chiffre avoisine les 3 500, 2 612 Palestiniens et 822 Israéliens. Un bilan auquel se rajoutent les autres milliers de blessés et d’handicapés à vie, les terres brûlées, les arbres arrachés, les maisons détruites et cette chose terrible, cet acide meurtrier qui se nomme la haine. De part et d’autre, il n’y a plus qu’elle comme langage. Plus qu’elle comme horizon. Plus qu’elle comme futur immédiat pour deux peuples dont la mort de l’un ne peut signifier que le suicide de l’autre.
A des dizaines de milliers de kilomètres de là, les Marocains comme l’ensemble du monde arabe suivent avec impuissance et rage le combat désespéré d’un peuple victime de l’Histoire et de la raison du plus fort. Cette Palestine qui lutte avec toute la force de son désespoir, ils la portent fichée au cœur pour mille et une raisons.
Tant et si bien que cette chose terrible, cet acide meurtrier a lentement atteint leurs rivages. Elle y a accosté, avec son corollaire, la peur. Et menace de toucher à leurs propres fondements.
Pendant des siècles, composante forte de la société marocaine, les juifs marocains ont enrichi de leur trame le tissu national et contribué à sa pluralité. Puis il y eut 1948 et la saignée commença. Sous la double pression du sentiment d’insécurité et de l’appel de Sion, ils s’en allèrent par centaines de milliers, les plus fortunés en France, au Canada et aux USA, les plus pauvres en terre de Palestine. Aujourd’hui, ils sont 700 000 en Israël. Et plus que 3 000 au Maroc.
Pour combien de temps encore ? Le double assassinat des dernières semaines a re-semé la peur. Et avec elle, l’idée du départ. Pourtant ces Marocains-là, le Maroc ne peut se permettre encore de les perdre. Les autres Marocains ont besoin qu’ils demeurent à leurs côtés. Pour que cette terre qui porte les aïeux des uns et des autres reste ce qu’elle fut des siècles durant : une terre de pluralité et de générosité.
Palestine-Israël, une douleur au cœur de chacun. Mais au cœur de tous, le Maroc. Ne laissons pas la colère et la peur nous détruire. Et le trahir