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Idées

Secousses dans le couscous

Il est entendu que la menace qui plane sur la
semoule et qui risque de provoquer des secousses
dans le couscous n’est pas un fait de civilisation.
Elle relève du marché, des spéculations et autres magouilles de «céréales killers» qui se font du «blé» en profitant des dysfonctionnements administratifs
et des vides juridiques.

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Une information des plus alarmantes vient de passer inaperçue auprès des consommateurs et, notamment, de la ménagère, focalisés qu’ils sont ces jours-ci sur le prix du mouton. Le couscous est menacé de disparition. La cause ? Un dysfonctionnement dans le système de production des céréales. Les minotiers préféreraient importer le blé tendre, soutenu par l’Etat, au blé dur, qui lui, n’est soutenu par personne. Normal, le rôle des pouvoirs publics n’est-il pas de soutenir les plus faibles ? Mais il y a un petit problème : c’est avec le blé dur que l’on fait de la semoule et donc du couscous. Résultat : pas de blé dur, pas de couscous et pas de couscous, pas de bouffe pour les tolba crevards qui tapent l’incruste, les mendiants du vendredi, les invités des fêtes de mariage, baptême, circoncision, sans compter les restaurants pour touristes et, surtout, les irréductibles amateurs du «couscous de maman parce que c’est le meilleur» tous les vendredis saints que Dieu fait, avec ou sans la prière qui le précède. Ça fait du monde et ça peut faire du bruit. Voilà pourquoi, sans doute, notre confrère L’Economiste en a fait, mardi 11 décembre, un gros titre en page une : «Menaces sur le couscous». Vous remarquerez le pluriel attribué au mot «menace», preuve que les risques et les victimes sont nombreux comme on vient de le préciser. Mais si le quotidien passe objectivement en revue, et arguments à l’appui, les causes de ce dysfonctionnement, on ne peut que se perdre en conjectures quant aux conséquences socio-économiques et culturelles.
Outre les victimes citées ci-dessus, la disparition du couscous de la table marocaine aurait des conséquences sur bien des comportements et usages locaux. En plus d’un gros problème d’ustensiles devenus inutiles parce que inutilisables. Que ferions-nous, je vous le demande, de ces millions de couscoussiers et de louches spéciales sauce aux légumes complètement caducs ? Il fut un temps, au cours des années 80, et avant l’arrivée des paraboles, où l’on hissait le couscoussier sur les toits pour capter des bouts d’images de la TVE, la RAI et d’une TV5 naissante. En ce temps-là, le génie populaire, toujours en avance sur le génie civil des gouvernants, avait fait un double usage de cet ustensile trivial. Il passait de la cuisine à la terrasse pour servir aussi comme outil de la technologie de l’information et de la communication, remplissant ainsi une double fonction alimentaire et culturelle.
Aujourd’hui, alors que la menace de la disparition du couscous plane sur la gastronomie marocaine, on sait que ce plat nous a échappé il y a belle lurette. En France, il est considéré quasiment comme un plat national bien avant la blanquette de veau ou le gratin dauphinois. Partout dans le monde, il est bien classé et souvent cité. Et dire que le Marocain ou la Marocaine qui avait inventé le couscous n’avait pas déposé la marque et le label. Ah ! la méga franchise universelle qu’on a loupée ! On se serait fait plein de blé aujourd’hui. Vous me direz que le type qui a inventé le feu n’y a pas pensé non plus ; mais c’est une autre préhistoire… Plus sérieusement, l’histoire de la gastronomie marocaine est riche de plats dont l’origine et la présentation témoignent de la diversité culturelle et de l’épaisseur de la civilisation du pays. Beaucoup sont tombés dans l’oubli, d’autres ont connu quelques accommodements plus ou moins heureux. On sait que des menus du XIXe siècle servis dans les grandes villes impériales marocaines ne sont plus à l’ordre et au goût du jour. Par oubli, par ignorance, par nécessité ou par effet de mode, la cuisine, comme toute culture, évolue, emprunte et s’inscrit dans la marche du monde. Il est entendu que la menace, qui plane sur la semoule et qui risque de provoquer des secousses dans le couscous, n’est pas un fait de civilisation. Cela relève du marché, des spéculations et autres magouilles de «céréales killers» qui se font du «blé» en profitant des dysfonctionnements administratifs et des vides juridiques. On retrouve cette engeance un peu partout dans certains secteurs de l’économie, toujours prompte à sauter sur le créneau où il y a le beurre et l’argent du beurre. C’est une espèce de kous kous klan tapi dans le noir et encagoulé qui mange la laine sur le dos du mouton après l’avoir pendu haut et court.