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Idées

Schizophrènes, et bientôt dangereux !

Si le Maroc veut rattraper son retard technologique et se lancer à la conquête du monde, il faut que ses entrepreneurs développent leur agressivité, comme y réussit très bien le secteur informel.
Soit il réussit à lancer un plan Marshall « high-tech», et il en a les moyens financiers et humains, notamment à travers sa diaspora, soit il tombera, et pour longtemps, dans l’esclavage économique.

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Le Maroc n’aura jamais eu à faire face à autant de changements économiques… Les seniors qui ont vécu les années noires de la Seconde Guerre mondiale nous décrivent parfaitement la logique schizophrénique dont on nous taxe facilement aujourd’hui. Nous aurions abouti à celle-ci en définissant mal le compromis entre une mondialisation à outrance qui nous impose le changement et la volonté nonchalante de préserver notre tranquillité, notre culture et nos racines.
Un pied en Afrique, libéré des règles qui régissent les affaires, subjectif à volonté, l’autre pied fermement posé en Europe, rationnel dans ses choix, mais encore plus tatillon et procédurier que le modèle copié, celui-ci n’ayant jamais fourni de mode d’emploi. Les deux pieds, chaussés selon la conjoncture de talons de taille différente, sont constamment invités à supporter un corps grossissant se composant de millions de citoyens. Avec du recul, l’image de soi, avachis dans l’un des replis d’un corps frêle et bedonnant par endroit, boitant sur des pieds déséquilibrés, donne à sourire.
Cette explication imagée que nous content nos parents, nous apprend une chose : quand on reprend possession de ses pieds, il faut les rééduquer, les muscler et apprendre à marcher en cadence. Aujourd’hui, force est de constater que nous n’y sommes pas. Le fait est que nous ne savons même pas sur quel pied danser.
Même nos craintes unanimes, fondées sur l’analyse rationnelle des risques économiques, n’ont pas encore eu raison de notre laisser-aller, qui nous dicte de repousser les plans de mise à niveau à demain, espérant que les dangers qui nous guettent s’évanouissent tranquillement grâce à notre «baraka». Notre pseudo schizophrénie en tire là son essence.
Au final, balancés entre ces deux mondes qui se côtoient en nous, composés de plusieurs palettes de couleurs, émotionnelles et culturelles, nous sommes rapidement frustrés, résignés à perdre une partie tronquée à la base, jouée contre des concurrents économiques étrangers binaires et incolores, qui se gargarisent d’une loi propre et aseptisée, en prétendant représenter «le nouvel ordre économique mondial».
Assez de demander aux pays riches d’instaurer un «smig» technologique accessible à tous !
Ces mêmes concurrents nous expliquent, dans un accès de générosité, que, pour survivre, il faut se résoudre à apprendre à courir très vite. Soit, mais avec autant de retard pris, c’est illusoire. Rattraper des pays qui ont des décennies technologiques d’avance, dans des pays comme le nôtre, où une partie de la population en est encore au stade de l’alphabétisation, ne peut être une stratégie à court terme.
En fait, le pronostic économique le plus sensé est de penser que la libéralisation des droits de douane, l’ouverture de notre marché aux économies étrangères, vont raboter notre côté informel, déséquilibrant un peu plus notre corps voire peut-être nous obliger à revenir sur un nouveau statut de protectorat économique, où nos pieds ne nous appartiendraient plus. Ne nous leurrons pas, nous ne sommes jamais sortis de notre dépendance économique. Comme tous les pays du Sud, et après avoir contribué à offrir une bonne partie de nos ressources naturelles durant des siècles, nous, les pays non développés n’avons cessé de réclamer aux politiques des pays riches d’instaurer au moins un «smig» technologique, accessible à tous.
La communauté scientifique, altruiste, fit de l’avènement de l’internet une solution, en faisant un pied de nez aux politiques. Mais le «smig» ne suffit pas. La mondialisation aidant, l’information technologique devient périmée en quelques mois. Comment croyez-vous que cela marche ? Toute la recherche-développement mondiale est tour à tour attaquée ou attaquante, constamment à la recherche d’informations de qualité sur les dernières technologies dans tous les domaines à forte valeur ajoutée. Essayez de citer une marque ou un concept qui n’ait été copié… Rien n’interdit à quiconque d’observer ce qui se fait ailleurs, de le décortiquer, de l’analyser et de le reproduire, mieux et moins cher… en se bardant, bien sûr, d’avocats assez compétents pour esquiver les attaques des premiers concepteurs. C’est à cela que se résume le nouvel ordre économique mondial : des chercheurs, des copieurs « relookeurs» et des avocats.
Voulons-nous rester délégataires des marchés de fin de production ? Besogneux sur de petites séries à produire, suppliant les donneurs d’ordre de ne pas se tourner vers d’autres économies en voie de développement encore plus besogneuses ? Pour échapper à ce triste destin, il nous faut nous organiser, vite. Il n’y a pas beaucoup d’autres alternatives que l’intelligence économique pour rééquilibrer nos pieds, réduire nos bourrelets et dynamiser notre rendement.
Nous avons les moyens de mettre en réseau des centaines de milliers de femmes et d’hommes, Marocains résidents à l’étranger, proches de toutes ces sources de production de pointe, qui les comprennent et qui savent les faire marcher. Certains peuvent même les améliorer. Nous pourrions êtres attractifs et proposer à des têtes pensantes de venir s’installer chez nous, pour lancer un plan Marshall high-tech.
Nos banques croulent sous le poids d’un argent qui n’attend que de faire vivre des projets productifs, lassés de ne servir qu’à la spéculation peu courageuse et sans valeur ajoutée.
Nos avocats, eux, sont déjà assez agressifs, il leur faudra apprendre les langues et les lois des autres marchés afin de savoir construire les parades adaptées pour nous protéger dès notre entrée dans le jeu des «grands».
Les économiquement faibles comme nous peuvent surprendre s’ils ne font pas ce qu’il est attendu qu’ils fassent : gémir, réclamer, attendre et prier.
Le rouleau compresseur des marchés étrangers est à nos portes. Serons-nous résignés à ne plus nous cacher derrière toutes sortes de barrières de défense ? Oui, c’est le pari qui est pris aujourd’hui avec les accords de libre-échange. Par contre, c’est à l’esclavage économique qu’il faudra se résoudre, pour longtemps, si nous ne développons pas nos aptitudes à être agressif.
Les entrepreneurs de l’underground, eux, ont la fibre du commerce ultra-libéral
Cette agressivité, nous l’avons au Maroc dans la vitalité de l’esprit qui guide l’informel. Les entrepreneurs de «l’underground» ne sont pas des théoriciens, ni des enfants de chœur. Ils ont par contre, d’instinct, la fibre du commerce ultra-libéral, ils s’adaptent très rapidement au changement et surfent entre les failles des lois, des administrations, en créant de l’organisation ultra fonctionnelle. C’est cette même agressivité qui manque aux entreprises formelles, classiques et structurées, où les freins s’accumulent dès lors qu’il s’agit de négocier un changement salvateur. Imaginez la combinaison que pourrait donner le cumul intelligent de ces deux mondes économiques qui se côtoient ? Nous pourrions demain, tout en respectant les lois du commerce, utiliser une équipe non conventionnelle.
Levons les freins et sortons de notre pseudo schizophrénie, elle n’est pas réelle, elle nous est proposée comme image. Cette image renvoyée est d’ailleurs tellement avilissante, et le marketing des pays développés est tellement fort, que des milliers de jeunes préfèrent rejoindre des eldorados aux belles figures qui, à bien regarder, se trouvent être vieilles et liftées.
Nous, naïfs, nous n’en sommes qu’à un stade d’innocence, comme le serait un jeune enfant qui découvre la vie. Avec des décisions pertinentes, nous pourrions imbriquer et allier dans une cause commune nos différentes facettes, pour faire que cet enfant puisse prendre de l’assurance, construire sa propre personnalité et se lancer à la conquête du monde… Et tant qu’à être traités de «schizophrènes», soyons au moins «économiquement dangereux» !

Com’ese

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