Idées
Quels enjeux dans l’évaluation des professeurs de l’enseignement supérieur ?
Le management des établissements d’enseignement supérieur est porté soit par d’anciens professeurs nommés par le jeu des candidatures, soit par des managers sans expérience pédagogique. Les universités ne tiennent pas compte de la réalité des systèmes de rémunération et des objectifs de la recherche scientifique qui ne peuvent être compatibles avec des objectifs de performance.
Comme dans le temps passé, l’université est le berceau des sciences, de l’opposition intellectuelle, la référence de la connaissance et de l’accès égalitaire à la recherche scientifique et souvent un tremplin pour l’intégration de postes importants dans l’administration. Qu’en est-il de l’université marocaine ? L’insatisfaction des professionnels de la qualité de l’enseignement supérieur et la démotivation de beaucoup d’enseignants-chercheurs ne seraient-elles pas dues à une gestion inappropriée de ces ressources humaines ?
Parmi les éléments qui expliqueraient la crise de l’enseignement supérieur, à partir de conclusions et de diagnostics partagés par la communauté des enseignants-chercheurs, on trouve la qualité de la gestion des carrières du corps professoral. Sur quelles bases réglementaires, pédagogiques et scientifiques sont déterminées les compétences d’un professeur universitaire ? Ces bases sont-elles utiles et pertinentes dans le processus d’évaluation ? Par qui ces évaluations sont-elles réalisées ? Contribuent-elles à une amélioration des pratiques enseignantes ? Les politiques d’enseignement supérieur actuelles offrent-elles de vrais projets de carrière au corps enseignant ?
Si les mutations de l’enseignement supérieur donnent lieu à l’introduction de nouvelles règles en matière d’évaluation, il reste à savoir si elles se feront pour le meilleur ou pour le pire de la profession.
Dans les entreprises, et contrairement à ce qui se passe dans les universités, la question de la gestion de la carrière, avec ses concepts associés à l’évaluation, à la rémunération et à la satisfaction au travail, fait l’objet d’études et est prise au sérieux depuis longtemps par la gestion des ressources humaines. Il est surprenant de constater que ces concepts n’aient pas (ou peu) été développés pour les besoins des enseignants qui, paradoxalement, eux forment les managers des entreprises. Il semble évident que le corps professoral a négligé de s’intéresser à sa propre profession.
Cette réflexion traduit une préoccupation légitime, les enjeux de l’évaluation sont importants, et on ne peut pas se permettre de «faire n’importe quoi». L’évaluation est au cœur de la motivation.
D’où vient le mal ?
Le manque d’outils scientifiques d’évaluation engendre des pratiques non objectives qui génèrent souvent des injustices. Le management des établissements de l’enseignement supérieur est porté soit par d’anciens professeurs qui, par le jeu de la candidature, ont accédé aux fonctions d’encadrement, soit par des managers sans expérience pédagogique. En matière d’évaluation et de gestion des carrières, ce management doit se conformer aux textes de la loi et surtout disposer d’outils adaptés.
Il est important de souligner qu’il y a une différence de taille entre les deux profils de managers. Les professeurs-managers seraient plus concernés par une gestion correcte des carrières des enseignants car une fois leurs mandats terminés, ils réintègrent leurs statuts d’enseignants.
Les instances de gouvernance, telles les commissions scientifiques, doivent se conformer aux dispositions légales. Notamment dans leur composition en représentativité du corps professoral en nombre et en spécialité.
Un état des lieux montre que le professeur universitaire a de plus en plus d’autonomie dans les savoirs qu’il transmet et la manière dont il les prodigue… En revanche, le suivi de ses activités est-il correctement opéré ? Les pratiques et outils d’évaluation sont-ils toujours appropriés ?…
Prestation de formation, articles publiés, tâches administratives, implication dans la vie de l’établissement… Ces éléments d’évaluation qu’on trouve dans tous les supports sont-ils suffisamment précis? J. Ion et B. Ravon (2005), des chercheurs en GRH, précisent que, faute d’une claire définition de l’objet à évaluer et d’une réelle connaissance du travail effectué, l’évaluation serait impossible.
Dans plusieurs universités et établissements d’enseignement supérieur, le management ne tient pas compte des expériences passées des professeurs dans d’autres domaines ni au moment du recrutement ni lors des dites évaluations. Il exige de plus en plus des jeunes professeurs de l’enseignement supérieur plus de présence dans les établissements pour accomplir des tâches administratives et ne tient pas compte de la réalité des systèmes de rémunération et des objectifs de la recherche scientifique qui ne peuvent être compatibles avec de tels objectifs de performance. Ce qui a des répercussions négatives sur l’avancement des carrières: (1) fuite des cerveaux, (2) manque d’attractivité des offres de recrutement. Car les talents préfèrent aller ailleurs où ils auront de meilleures perspectives d’évolution.
Cette lecture met en évidence en premier lieu une forme de «malaise» dans l’exercice de cette profession, avec une contradiction entre un métier à la fois enrichissant et gratifiant, mais aussi une insatisfaction marquée quant aux salaires et aux évolutions de carrières.
Ainsi, cette analyse est une invitation à réfléchir à l’avenir d’une profession qui fait face actuellement à un environnement en évolution. Il est donc urgent d’ouvrir des voies à la poursuite de réflexions afin d’explorer de manière plus qualitative les aspirations des enseignants-chercheurs dans leur métier et les évolutions de leurs carrières en impliquant toutes les parties prenantes : le corps professoral, les managers des établissements de l’enseignement supérieur, le ministère de l’enseignement supérieur et l’instance syndicale (SNESUP).
Hayat El Adraoui, Professeur chercheur en Management stratégique et Gestion des ressources humaines