SUIVEZ-NOUS

Idées

Quand l’Etat viole ses lois

L’Autorité de la concurrence a adressé au Conseil de la concurrence une copie du rapport et une saisine faisant état de la décision envisagée concernant l’affaire des huiles. On enterre une institution et on lui adresse une lettre posthume l’invitant à  se manifester d’outre-tombe.

Publié le


Mis à jour le

Une bizarrerie institutionnelle, je vous dis. Une bizarrerie, de celles que nous réserve le paysage de nos institutions. Une histoire à dormir debout. Suivez-moi. En l’an 2002, un Conseil de la concurrence a été créé par la force d’une loi, portant le numéro 06-99, conçue par l’administration après plus de cinq années de concertation, adoptée par le gouvernement après moult versions, et finalement votée par les deux chambres à une écrasante majorité. La configuration, la composition et les prérogatives de ce conseil ne s’inspiraient pas de ces best practices que sont les autorités de régulation indépendantes. Perfectible, il l’était, mais sa naissance participait de ce mouvement d’innovation juridique qu’appelaient les mutations de notre économie d’un modèle administré à un modèle ouvert. Une loi qui s’imposait, parce que l’on sortait d’un régime de contrôle des prix. Elle redonnait aux entreprises le pouvoir de définir librement leurs prix, d’en faire un vecteur de conquête de marchés dans un environnement transparent. L’Etat souhaitait disposer d’un système de veille contre les pratiques anticoncurrentielles des entreprises. Façon de promouvoir l’efficacité économique et de protéger les intérêts du consommateur. Un conseil qui s’imposait dans ce nouveau régime de l’économie marocaine, ouverte, efficiente, transparente…Vous connaissez tous les qualificatifs que l’on ressasse dans les discours officiels pour se convaincre de la modernisation de nos institutions

Toujours est-il que le Premier ministre nomme le président et les membres du conseil. L’institution est dotée d’un nouveau bâtiment, flambant neuf. Tout est mis en œuvre pour que l’instance s’acquitte convenablement de ses missions. Tout sauf l’essentiel. L’exercice effectif de ses prérogatives. Pourquoi ? Allez demander à son président. Sitôt désigné, il décide de mettre la clé sous le paillasson et s’en va cultiver son jardin. Il crie sur les toits qu’il ne veut pas de cette responsabilité, qu’il ne croit pas à son opportunité. A son seul actif, un règlement intérieur qui cadenasse le fonctionnement du conseil… Seul «Monsieur le Président» a le pouvoir de convoquer les instances du conseil. On a du mal à croire qu’un petit bout d’article d’un règlement bloque une institution créée par une loi. Pourtant, c’est du vécu. Face à cette entorse à la hiérarchie des normes juridiques, les juristes en perdent leur latin. Cela paraît insensé, mais le fonctionnement d’une institution publique est à la merci d’un état d’âme. Cinq années passent sans que les géniteurs de cet organe ne manifestent la volonté d’insuffler de la vie à ce mort-né. Bizarrerie. Ni le gouvernement ni le Parlement ne prennent acte de la désinvolture d’un président et ne décident de réactiver l’institution. Quelques membres du conseil osent se prononcer sur ce mounkar. Ils prêchent dans le désert.

Et voilà qu’aujourd’hui la confusion s’installe. La Direction des prix et de la concurrence relevant du ministère des affaires générales publie les résultats d’un rapport d’enquête sur les pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des huiles. Il enjoint à deux sociétés de cesser la pratique de prix abusivement bas. Quelques voix s’interrogent à bon escient: la Direction des prix et de la concurrence, organe administratif, est-elle habilitée à prendre une décision sur des pratiques anticoncurrentielles ? Discutable. En vertu de la loi 06-99, le Premier ministre est doté de pouvoirs réglementaires et administratifs et des prérogatives décisionnelles qui font de lui l’autorité administrative principale chargée de l’application du droit de la concurrence : nomination du président et des membres du conseil, désignation des fonctionnaires habilités à procéder aux enquêtes et à entreprendre des investigations et décision de la suite à donner aux avis du conseil. Le Conseil de la concurrence est un organe consultatif, mais, c’est sur la base de ses avis que le Premier ministre rend ses décisions pour les cas qui lui sont soumis. Pourquoi le Premier ministre n’a-t-il pas usé de ses pouvoirs pour relancer le conseil et lui soumettre ces cas ? Il a le pouvoir de déléguer ses attributions au ministre délégué chargé des affaires économiques et générales. Cette autorité administrative a pour mission de mettre en œuvre la politique de la concurrence, de réaliser des enquêtes sur les pratiques anticoncurrentielles. A-t-elle pour autant la latitude de formuler des avis au Premier ministre ? On peut supposer qu’elle s’est substituée à un conseil défaillant. Mais n’est-elle pas aussi chargée de préparer et veiller à l’application des textes à caractère législatif et réglementaire relatifs à la concurrence et aux prix ? Pourquoi n’a-t-elle pas utilisé cette attribution pour réanimer le conseil. On apprend qu’elle a pris soin d’adresser au conseil une copie du rapport et une saisine par écrit faisant état de la décision envisagée. Autrement dit, on enterre une institution par homicide et on lui adresse une lettre posthume l’invitant à se manifester d’outre-tombe. Des membres de ce conseil, encore en vie, attendent toujours de recevoir cette copie. Quelqu’un disait que Descartes n’était pas marocain. Peut-être. Mais le Maroc est sûrement kafkaïen. Bizarrerie, je vous disais. Elle n’est pas la seule. Un Conseil économique et social, prévue par la Constitution, n’a jamais vu le jour. Un Institut de la prospective, annoncé par le Monarque dans un discours officiel, reste lettre morte. Et la liste des conseils supérieurs qui meurent de mort lente est longue. Notre paysage institutionnel a besoin d’un toilettage et d’une revitalisation. Il en va de sa crédibilité