Idées
Quand les vaincus sont les vainqueurs
En Egypte, l’opposition qui dénonce des fraudes continue sa mobilisation. Le combat mené est celui de deux projets de société. Mais même s’ils perdent la bataille du référendum, les modernistes égyptiens savent désormais qu’ils ne sont plus une minorité mais presque la moitié de la société. Une excellente nouvelle pour tous leurs semblables arabes.

Pour une fois, la satisfaction serait à mettre du côté des vaincus, pas des vainqueurs. Les résultats de la première phase du référendum constitutionnel en Egypte est à considérer comme une réjouissante surprise pour tous les modernistes du monde arabe. Le camp islamiste certes l’emporte mais juste d’une courte tête, ce qui, en soi, signe un échec pour lui. Là où les Frères musulmans attendaient une victoire écrasante, à la mesure de leur poids électoral, ils se retrouvent avec un résultat qui confirme ce que les manifestations de ces dernières semaines ont montré, à savoir une Egypte coupée en deux. En effet, selon les chiffres livrés par les Frères musulmans eux-mêmes, de la première phase du référendum, le «oui» au projet constitutionnel l’emporterait avec tout juste 56%. Le résultat final ne sera connu que ce samedi, à l’issue de la seconde phase mais, déjà, il apparaît évident que Mohamed Morsi est bien loin du plébiscite qu’il escomptait. Il aura ainsi suffi aux islamistes de quelques mois au pouvoir pour expérimenter l’usure de celui-ci. En effet, lors des premières élections législatives post-Moubarak de 2011, les différentes formations islamistes (FM et salafistes) se taillaient la part du lion en raflant 113 des 168 sièges du Parlement.
Comparativement à ces scores, les premiers résultats du référendum constituent une véritable claque pour le camp islamiste. Ce petit 56% est à mettre au compte des faux pas et de la dérive autoritaire du président issu des rangs des Frères musulmans. Mais il est également le fruit de la formidable mobilisation de l’opposition égyptienne, libérale et de gauche, qui a investi la rue avec force pour s’élever contre le décret par lequel l’Exécutif voulait renforcer ses pouvoirs et contre un texte constitutionnel liberticide à bien des égards.
Parmi les partisans du «non» au référendum, urbains essentiellement, dominent les chrétiens, les jeunes et les femmes. Les femmes, tout particulièrement, ont investi avec force les bureaux de vote, faisant des queues de plusieurs heures pour mettre leur bulletin dans l’urne comme l’ont montré les différents reportages. Logique : elles sont celles qui, avec la minorité chrétienne, ont le plus à perdre d’un surplus d’islamisation des textes. Quant aux jeunes, il y a certes ceux que le chômage et la misère jettent dans les bras de la mouvance islamiste mais il y a également les autres, ceux qui ont fait la révolution pour gagner en droits et en liberté. Et ceux-là n’entendent pas baisser les bras et se soumettre au diktat islamiste, quelle que soit sa puissance. Ces jeunes symbolisent cet autre visage de la société arabe, un visage que les grandes manifestations ont placé sous les feux des projecteurs mais qui, ensuite, est à nouveau retombé dans l’ombre. Ce visage-là, pourtant, est bien réel. Il suffit, pour le voir, de se balader aux abords des lycées ou dans les parcs, un samedi après-midi. D’observer ces bandes d’adolescents, garçons et filles confondus, au cours de leurs longues séances de «posage» pendant lesquels, entre grosses blagues et discussions, naissent les premiers amours. Cette génération montante -on ne parle pas là des «fils de riches»- est bien dans son temps. Elle regarde les chaînes satellitaires, rêve de beaux romans et plaque ses comportements sur ceux des acteurs des séries télévisées. On est, pour le meilleur et pour le pire, dans l’ère du «copier-coller». Tant au niveau de la pensée que des attitudes et des comportements.
Les islamistes, qui l’ont parfaitement compris, ont investi avec force les nouvelles technologies. Sauf que sur Internet, il n’est pas qu’un discours qui circule. Ce n’est pas la mosquée où les fidèles écoutent sagement le prêche de l’imam. Toutes les idées se confrontent. Au cours de ces deux dernières décennies, après l’échec du socialisme arabe et la révolution iranienne, les islamistes ont occupé le champ politique, se posant comme l’alternative aux pouvoirs en place. Mais avec «le printemps arabe» et leur installation aux commandes, la donne change. Ils sont désormais passés de l’autre côté de la barrière, une place infiniment moins confortable. En Egypte, l’opposition qui dénonce des fraudes continue sa mobilisation. Le combat mené est celui de deux projets de société. Mais même s’ils perdent la bataille du référendum, les modernistes égyptiens savent désormais qu’ils ne sont plus une minorité mais presque la moitié de la société. Une excellente nouvelle pour tous leurs semblables arabes.
