Idées
Plaidoyer pour un patriotisme économique
Le Maroc a donné la priorité à l’importation de richesse à forte valeur ajoutée plutôt qu’à la création de richesse, au détriment du potentiel industriel et technologique national. Faute de pouvoir se désengager de ses accords de libre-échange et de sa logique de surconsommation, le pays n’a comme ultime recours que le patriotisme économique.

Il y a de cela une vingtaine d’années, le Maroc a pris bon gré mal gré le chemin de la libéralisation économique suite aux réformes imposées par le FMI et la Banque mondiale, chemin souvent drapé d’allure moderniste, et présenté aux citoyens marocains sous les qualificatifs solennels d’«ouverture», de «mise à niveau de l’économie» et de «modernisation», et dont la mise en pratique s’est en partie concrétisée par des accords de libre-échange totalement asymétriques tel que celui en vigueur depuis 2006 avec les USA.
La théorie économique et l’histoire nous apprennent qu’une économie en voie de développement n’a intérêt à s’ouvrir à la concurrence mondiale que dans la mesure où elle dispose du potentiel technologique nécessaire, à même de lui permettre d’imposer les termes d’échanges favorables à son économie. Sans quoi, le libre-échange condamne la dite économie a une situation structurelle de dépendance technologique et économique, et à la ruine progressive de ses secteurs économiques ciblés par l’accord, situation que Frédéric List décrit avec lyrisme et lucidité dans «Système national d’économie politique» en parlant de la théorie du libre-échange en ces termes : «Cette théorie vantée n’aurait été construite si large et si haute que pour cacher des armes et des soldats, comme un autre cheval de Troie, et pour nous porter à abattre de nos propres mains les murs qui nous protègent».
L’illusion de prospérité dans laquelle nous vivons à travers la création et la mise en place de projets d’infrastructures grandioses, dont on ne maîtrise quasiment aucune technologie et de centres commerciaux pharaoniques, masque en réalité une situation alarmante de dépendance technologique et économique quasi totale vis-à-vis des pays développés. C’est en fait l’expression d’un choix, celui d’avoir donné la priorité à l’importation de richesse à forte valeur ajoutée, plutôt qu’à la création de richesse, au détriment du potentiel industriel et technologique national qui déborde de talents et de compétences qui n’attendent qu’un cadre adéquat pour s’exprimer et s’épanouir au lieu de s’expatrier à l’étranger. Le pouvoir de créer des richesses est infiniment plus important que la richesse elle-même.
Ainsi, la nécessité d’instaurer un protectionnisme éducateur, ou, en d’autres termes, un rattrapage technologique ciblé, par une logique de remontée de filière dans un cadre protégé et appuyé par une volonté politique volontariste ne fut jamais aussi pressante, dans un monde de plus en plus globalisé et soumis à une planification économique par les marchés financiers et les agences de notations qui n’hésitent pas à imposer leurs dictats aux Etats en termes de politique de rigueur et de conduite économique, avec l’aval et la bénédiction de la Banque mondiale et du FMI.
Pour l’instant, c’est la logique de surconsommation à court terme qui domine, et qui s’est progressivement substituée à la logique d’épargne et de long terme, base de tout développement industriel. Cette mécanique de surconsommation s’articule autour de trois axes :
– Réduction de la liberté au désir ;
– Réduction du désir à l’acte d’achat ;
– Facilitation et stimulation de l’achat par le crédit de consommation.
Faute de pouvoir se désengager de ces accords de libre-échange et de cette logique de surconsommation, du fait de l’absence d’une volonté politique en ce sens, mais aussi du fait de l’actuel rapport de force au niveau international, l’ultime recours demeure le «patriotisme économique», forme subtile de protectionnisme économique, connue également sous le qualificatif de «protectionnisme culturel». Beaucoup de produits que nous importons, notamment dans le domaine de l’agroalimentaire, sont ou peuvent être produits au Maroc. Ainsi, si chaque Marocain adoptait un principe de «préférence nationale» qui se traduirait par le fait de choisir le produit marocain plutôt que celui importé quand la possibilité lui est offerte, en plus d’en ressentir un sentiment de fierté d’avoir accompli un acte moral dans l’intérêt de la nation, cela pourrait provoquer dans l’éventualité d’une adhésion massive à ce mode de consommation un choc par la demande intérieure, qui par les simples mécanismes du marché stimulera l’emploi du fait de la nécessité de recruter de nouveaux travailleurs en vue de répondre à la nouvelle demande, réduira le volume des importations superflues et augmentera le chiffre d’affaires des entreprises marocaines, et donc des recettes de l’Etat par le biais de la fiscalité.
Le patriotisme n’est point une affaire de partis politiques ou d’idéologies, mais une affaire de cœur et de raison ! Car depuis l’effondrement de la sphère soviétique, le clivage «gauche – droite» n’a plus aucun sens, et le seul clivage pertinent aujourd’hui est «souverainiste – mondialiste». Et être souverainiste, c’est avant tout faire passer les intérêts de sa nation avant celles des autres, et qui se traduit sur le plan économique par une logique de préférence nationale dans le mode de consommation de tout Marocain et par la volonté d’accéder à la maîtrise technologique, à la souveraineté économique et alimentaire, et de redonner au Maroc la place qui lui sied au sein du concert des nations développées.
