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Idées

Petite annonce au bain maure

Acheter un bain maure de nos jours relève du mécénat culturel, voire de l’art post-moderne. Sauf à le transformer en ces nouveaux hammams branchés à 150 balles la trempette, non compris le massage aux plantes et le bain de «ghassoul».

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Parmi les perles que l’on peut glaner dans la presse gratuite et même payante lorsqu’on passe en revue, comme on passe son chemin, quelques titres de journaux, il existe un petit gisement enfoui dans les petites annonces. Certaines semblent directement extraites de celles qui ont fait le succès du fameux journal satirique, L’Os à moelle, créé par Pierre Dac en 1938. Savourez cette annonce qui fleure bon les vapeurs mauresques mais sent aussi la difficulté économique de l’annonceur : «A vendre : hammam hommes et femmes à salé.» On n’est pas loin des annonces de Dac du genre : «On demande des personnes sachant compter jusqu’à 10 pour vérifier des doigts dans une usine de gants.» ; ou celle, plus réaliste et très probable par les temps économiques qui courent : «Homme complètement fauché accepterait place homme de paille».

Loin de nous l’idée de nous moquer des difficultés de l’annonceur qui veut se débarrasser de son «hammam hommes et femmes ». Mais on peut cependant souligner qu’il est superflu – et coûteux en espace payant dans une petite annonce – de préciser la mixité de cet établissement hygiénique, car un hammam est toujours mixte mais pas aux mêmes heures. Autrement, c’est un sauna scandinave ouvert à tous et sans façon ; ou un de ces hammams de certaines grandes villes d’Europe où l’on rentre comme dans un moulin, sans aucune distinction d’âge, de race, de religion, de sexe ou de mœurs. Ceux et celles qui ont quelques souvenirs des anciens hammams beldis à l’architecture non moins traditionnelle savent ce qu’un bain de foule veut dire. Les plus tôt réveillés étaient les mieux lotis, à distance raisonnable entre la salle aux portes en voûte la plus tempérée et celle d’où s’échappe une couche épaisse de vapeur chaude ou quasi brûlante. De temps à autre, on voit surgir au ralenti, comme dans un film d’horreur, des silhouettes fantomatiques : corps maigres dont la nudité cadavérique à peine cachée par un de ces slips kangourous – très tendance à l’époque – trimballant en équilibre précaire deux seaux en bois. Ah ! les rires pleins de vapeur qui accueillent la glissade d’un baigneur au sortir de cette salle d’enfer… C’est une des rares distractions des mômes entraînés par un père irascible et débordé qui n’en peut plus de shampouiner une nombreuse progéniture. Peu avant, les moins âgés des garçons accompagnaient leur mère au hammam aux horaires des femmes ; mais juste après la circoncision, un gamin n’est plus considéré comme un chérubin asexué, notamment lorsque son regard s’attarde un tantinet sur la nudité de ses voisines. Bon, on vous a fait là une évocation, sans nostalgie aucune, de ces années des enfants au hammam, thème d’ailleurs curieusement récurrent dans le cinéma tunisien. Le cinéma marocain, lui, ce sont les enfants dans les rues, n’est-ce pas ?… A dire vrai, et c’est un point de vue personnel, il est difficile d’avoir une quelconque nostalgie pour un lieu qui flanquait plus la trouille qu’il ne procurait du bien-être. Et encore, je ne vous ai pas narré les histoires de lames de rasoir pourries que des baigneurs partageux collaient généreusement aux murs, après usage, afin que d’autres s’en servent gratos. Longtemps cette solidarité hygiénique entre mecs a été pour moi un mystère total.

Après cette escapade dans les vapeurs des souvenirs, revenons à cette petite annonce sur la vente de ce hammam hommes-femmes de Salé pour saluer le courage de l’éventuel acquéreur. Acheter un bain maure de nos jours relève du mécénat culturel, voire de l’art post-moderne. Sauf à le transformer en ces nouveaux hammams branchés à 150 balles la trempette, non compris le massage aux plantes et le bain de ghassoul. Tout cela pour dire que l’on peut trouver dans les petites annonces matière à rire et à réfléchir. Contrairement aux annonces classées dont le qualificatif, déjà, verrouille toute possibilité de discussion ou de rigolade. Et je ne parle pas des annonces légales dont certains libellés donnent un aperçu édifiant sur le pouvoir dictatorial d’un gérant, comme celui-ci, pris au hasard : «Le gérant, pour le compte de la société, emprunte, cautionne, hypothèque, consent tout gage, nantit les fonds de commerce et substitue auprès de tous les organismes bancaires et financiers… ». Ce n’est pas le gérant d’un hammam qui peut en dire autant.

Pour conclure en souriant, une annonce parue dans un quotidien casablancais le 11 mai dernier et que Pierre Dac n’aurait pas reniée : «Vend kit abattage poulets semi automtique. Neuf. Sacrifié… » C’est le prix qui est sacrifié, vous l’avez deviné. Quant au poulet, même sacrifié semi automatiquement, et malgré la grippe aviaire, il en rigole toutes dents dehors. Ouais, ouais, monsieur, les poules ont maintenant des dents. En tout cas, il y en a un qui le croit, c’est celui qui a fait paraître cette annonce dans la rubrique «Capitaux associés» : «Cherche financier actif ou non disposant 1 million de DH pour 2,5 %».