Idées
Néo-libéraux ou Peshmergas ?
Le courage c’est de dire que l’islam doit faire sa mue pour intégrer la modernité, pas de décréter comme le font certains néo-libéraux que les Arabes ne sont pas musulmans parce qu’il n’appliqueraient pas l’hypothétique «bon islam».
Le monde dit arabe (*) n’est pas aussi amorphe que le laissent entendre certains. Quelques voix s’élèvent pour en dénoncer les travers ; souvent au nom des valeurs universelles. Ainsi, la dialectique a fonctionné. La violence islamiste a produit son antidote, la religion n’est plus intouchable. La laïcité est une idée qui fait son chemin et la critique du texte, ou tout au moins de certaines lectures dominantes, n’est plus clandestine.
Dans ce mouvement, des noms s’imposent comme des chefs de file. Ce sont eux qui vont le plus loin. Le Dr Chaker Naboulsi, Jordanien, relayé au Maroc par Al Ahdath Al Maghribia qui fait œuvre utile, en est un. Il assume son rôle de «provocateur» et est en vérité un excellent remue-méninges. Seulement, il est un point sur lequel le débat doit être ouvert. Le Dr Naboulsi estime que les Arabes tirent trop sur la corde de la victimisation, ce en quoi il a raison. Mais il affirme que les invasions d’Afghanistan et d’Irak sont le début de la démocratisation et que les USA et leur projet de Siècle américain sont l’avenir de la région. On aurait pu ne pas s’y intéresser si cette idée ne commençait pas à trouver écho chez ceux qui se font appeler les néo-libéraux arabes.
L’idée d’une évolution par la pression externe est un formidable aveu d’échec, mais elle peut se défendre eu égard aux résistances à la modernité développées par les sociétés concernées. Les exemples cités le plus souvent, Allemagne et Japon, ne sont pas les bons, ne serait-ce que par rapport à l’infrastructure technique. Sans oublier que ces deux pays ont été des agresseurs. Les néo-libéraux sont en train de commettre une erreur historique. Ils lient leur analyse critique et leur projet démocratique à l’abandon de tout projet national et de toutes les causes. Ainsi, le fait que Yasser Arafat soit ce qu’il est n’enlève rien à la justesse de la cause palestinienne. Il ne justifie pas, a contrario, Israël. Que Saddam soit un tyran mégalomane, nul n’en disconvient. Cela ne justifie l’invasion américaine qu’aux yeux de ces libéraux.
Remettons ce débat à l’endroit. Le combat pour la libération de la Palestine et de l’Irak est un combat juste. Au nom des valeurs universelles que défend le Dr Chaker Naboulsi et du sacro-saint droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le fait qu’il soit juste ne justifie pas toutes les méthodes. Tuer des civils est un acte barbare, mettre en scène la mise à mort d’un homme, coupable d’être étranger ou non musulman, est barbare, les opérations kamikazes sont barbares. Les attaques contre l’armée de l’occupant sont des actes de résistance. Discuter de l’opportunité politique est un autre débat envisageable, mais au sein des peuples concernés, l’irakien et le palestinien s’entend. En face, Américains et Israéliens pratiquent le terrorisme d’Etat, tout aussi barbare. Le propos paraît séduisant : reconnaissons nos défaites et intégrons le siècle au lieu de pleurnicher sur un passé survalorisé. Sûrement, mais pas au prix d’abandonner toute velléité «nationale», tout simplement parce que cela ne marchera pas. Le meilleur moyen de faire rejeter toute idée de démocratie, c’est de la lier à la négation de toute cause nationale.
L’Occident n’est pas mû par un désir de démocratiser le monde. L’Amérique a soutenu les régimes les plus dictatorieux jusqu’à… aujourd’hui. En faire le libérateur des peuples, c’est passer par pertes et profits Mossadeq, le Vietnam, Pinochet, la Grenade et la pression sur le Président Chavez. Aujourd’hui, elle défend ses intérêts stratégiques pas la démocratie.
Le vrai débat concerne la capacité de nos élites à sortir de la victimisation constante et à repenser leurs sociétés. Le courage, c’est de dire que l’islam doit faire sa mue pour intégrer la modernité, pas de décréter comme le font certains néo-libéraux que les Arabes ne sont pas musulmans parce qu’ils n’appliqueraient pas l’hypothétique «bon islam». Se battre pour la laïcité, la rationalité, l’émergence de l’individu et donc combattre avec acharnement l’islamisme, le système rentier, les dictateurs est un merveilleux combat d’homme libre. Et les néo-libéraux y ont leur place. Le subordonner à l’acceptation des diktats américano-israéliens est le meilleur moyen de lui boucher toute perspective. Toute l’intelligence consisterait à sortir l’Irak et la Palestine du discours pan-arabiste et des fanfaronnades jihadistes. Accepter le fait accompli, pire, vouloir en faire un motif d’espoir, c’est se couper des masses et prendre la posture des Peshmergas. Ils n’auront jamais leur Etat, parce que les USA ont d’autres intérêts, et ne réintégreront jamais tout à fait la nation irakienne, parce qu’ils ont joué les supplétifs de l’envahisseur. Les Kurdes irakiens se sont choisi un statut de paria. La provocation dans le domaine des idées est salutaire, tant qu’elle ne fait pas table rase des règles de l’histoire, auquel cas elle devient puérile et contre-productive. A part cela, ce courant de pensée est plutôt une bonne nouvelle