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Idées

NEET : Et si les Social Impact Bonds étaient la solution?

Ils ne sont ni à l’école, ni en formation, ni au travail. Et ils constituent un défi majeur pour notre pays et pour le continent africain. Et si on innovait pour financer une politique de rattrapage pour leur insertion ? Éléments de réponse avec Hamid Ben Elafdil Chef d’entreprise et président de Jadara Foundation

Publié le

Le Maroc, à l’instar de nombreux pays africains, est confronté à un taux alarmant de jeunes en situation de NEET (Not in Education, Employment or Training). Selon les données du Haut-commissariat au plan, cette catégorie représente environ 1,5 million de jeunes âgés de 15 à 24 ans au Maroc.

Un chiffre qui s’accroît considérablement si l’on considère la tranche d’âge des 15-35 ans, atteignant alors 4,3 millions de personnes. Reconnaissant l’urgence de cette problématique, le gouvernement marocain a décidé enfin d’intégrer la problématique des NEET dans sa politique publique d’emploi, allouant un budget de 14 milliards de dirhams dans le cadre de la Loi de finances 2025.

À l’échelle continentale, l’Organisation internationale du travail estimait, avant la pandémie de Covid-19 en 2020, qu’environ 20% de jeunes Africains étaient en situation de NEET. En appliquant une hypothèse basse à la population des 15-35 ans, ce sont donc près de 70 millions de jeunes Africains qui se trouvent potentiellement dans cette situation de marginalisation socioéconomique.

Ces estimations mettent en lumière l’ampleur considérable du défi que représentent les NEET en Afrique, avec des conséquences majeures en termes d’instabilité sociale, de flux migratoires et, surtout, de perte du potentiel «dividende démographique».

Les sommes mobilisées à l’occasion de la Loi de finances 2025 au Maroc pour la politique d’emploi rénovée proviennent du budget de l’État. Ce qui rend cette politique difficilement soutenable sur la durée. Une alternative pertinente pour le financement des politiques sociales réside dans les Social Impact Bonds qui offrent des avantages significatifs pour les pouvoirs publics :

Partenariat public-privé dynamique
Les SIB catalysent un effet de levier financier en mobilisant des capitaux privés au service des projets d’intérêt public. La politique sociale marocaine pourrait ainsi tirer parti de la notation financière du Royaume et mobiliser des fonds à impact dans le cadre des SIB.

Ces fonds, qui autrement ne seraient pas disponibles, augmentent les ressources dédiées aux initiatives sociales. De surcroît, les investisseurs privés apportent leur expertise et leur savoir-faire, contribuant à une efficacité accrue des projets. Cette expertise est d’autant plus indispensable que les NEET n’ont jamais été adressés par les politiques publiques.

Transfert stratégique du risque
Le modèle ingénieux des SIB transfère le risque financier initial des autorités publiques vers les bailleurs de fonds privés, tout en alignant la rémunération de l’investisseur sur l’obtention de résultats concrets et mesurables.

Ce transfert permet aux pouvoirs publics d’expérimenter des solutions novatrices sans s’exposer à des risques budgétaires majeurs. Ce transfert est d’autant plus pertinent pour les NEET que les emplois possibles subissent des pressions pouvant aller jusqu’à leur disparition avec les percées de l’IA.

Flexibilité et adaptabilité opérationnelles
Étant donné que les programmes sont conçus et mis en œuvre par des organisations sociales, leur statut leur confère une agilité précieuse. D’une part, elles peuvent s’ajuster promptement pour répondre à des besoins émergents ou intégrer des approches novatrices prometteuses.

D’autre part, elles sont capables de réagir rapidement aux évolutions de l’environnement socioéconomique, une qualité essentielle pour maintenir l’efficacité des interventions.

En effet, dans le cadre des SIB, les organisations sociales bénéficient d’une autonomie dans l’exécution des programmes, sous réserve d’audits réguliers axés sur des indicateurs de performance clairement et préalablement définis et convenus entre les bailleurs de fonds, l’État et l’organisation sociale en charge du projet/programme.

Cette agilité est d’autant plus pertinente pour les NEET que leurs situations sont très différentes entre les milieux rural et urbain, entre les filles et les garçons et en fonction de leur niveau scolaire.

Optimisation des dépenses sociales
Le recours aux SIB permettrait à l’État de concentrer ses ressources budgétaires sur les politiques sociales à impact avéré, telles que la couverture sociale universelle ou l’aide directe aux ménages.

Simultanément, il pourrait solliciter des financements privés pour les politiques sociales dont l’efficacité est encore à démontrer ou dont les modalités de mise en œuvre sont en cours de définition et de stabilisation. De plus, les investisseurs ne sont remboursés qu’en cas de succès avéré du projet.

Cela signifie que les gouvernements n’ont pas à supporter le coût d’initiatives qui ne produisent pas les résultats escomptés. À long terme, en résolvant efficacement les problèmes sociaux grâce aux SIB, l’État peut anticiper une réduction des dépenses futures liées à ces problématiques, notamment au niveau de la justice ou de la productivité économique.

La situation des NEET étant issue en partie d’un décalage quantitatif et qualitatif entre les besoins et les formations. Une optimisation des dépenses sociales de notre pays vers une approche préventive serait plus pertinente qu’une orientation vers une approche curative pour espérer réduire le flux des NEET.

Évaluation rigoureuse et suivi des résultats
Les SIB imposent une évaluation rigoureuse des résultats obtenus, offrant ainsi à l’État des outils précieux pour identifier les politiques efficaces et, par voie de conséquence, éliminer les politiques inefficaces. En effet, la mesure systématique des résultats, sur la base de laquelle se font le remboursement et la rémunération de l’investisseur, permet de distinguer les interventions performantes, qui pourront ensuite être reproduites ou généralisées.

A contrario, la comparaison des résultats obtenus avec les objectifs fixés permet d’identifier et d’abandonner les approches peu concluantes, évitant ainsi le gaspillage de ressources publiques.Cette approche fondée sur les données permet, au minimum, d’ajuster les interventions en temps réel en se basant sur les informations et les indicateurs préalablement définis.

Dans le cas des NEET, il est fortement souhaitable d’initier des approches différentiées aussi bien en termes d’accompagnement que de sorties positives ciblées. La comparaison des résultats entre les différentes approches permettra de mieux cibler celles qui ont les meilleurs impacts.

Catalyseur d’innovation sociale
Il est certain que notre pays dispose d’une tradition de mobilisation des solutions innovantes aux problématiques sociales nouvelles ou pas convenablement traitées par les politiques sociales ou par le marché. Cette tradition peut être renforcée et renouvelée dans le cadre des SIB, vu que les organisations sociales sont encouragées à innover pour atteindre des résultats tangibles.

L’autonomisation des NEET étant un besoin social nouveau et nécessitant des approches adaptées à chaque segment de la cible, celles-ci ne peuvent être élaborées qu’en impliquant la participation et la coopération des acteurs concernés, notamment les jeunes concernés et les entreprises qui peuvent bénéficier des jeunes après leur accompagnement.

Avantages Clés de l’Implication des Organisations Sociales dans les SIB :

  • Deux avantages majeurs de l’engagement des organisations sociales dans le cadre des SIB méritent une attention particulière. En effet le système par silos qui caractérise les acteurs publics trouve ici une solution que les ONG adoptent aisément : une approche holistique adaptée à chaque cible.
  • Approche Intégrée : Les organisations sociales développent une approche holistique pour résoudre les problèmes complexes. La question des NEET, par exemple, nécessite l’intégration des structures économiques et des acteurs institutionnels. De plus, un accompagnement multidimensionnel (orientation, formation, mentorat, assistance financière…) est indispensable pour conduire les jeunes NEET vers des solutions durables.
  • Identification et Mobilisation Ciblées : Les organisations sociales qui mettent en œuvre des politiques publiques via les SIB sont particulièrement aptes à identifier et à mobiliser les groupes cibles spécifiquement définis dans le cadre des SIB. Il peut s’agir de populations particulièrement vulnérables, telles que les jeunes filles NEET.

Vers des NEET Impact bonds

Alors que le gouvernement marocain ambitionne de réduire le taux de NEET de 30% d’ici 2030, les Social Impact Bonds se présentent comme un instrument non budgétivore pour atteindre cet objectif, à condition d’en faire un pilier central de la nouvelle stratégie nationale d’inclusion.

Les SIB offrent un cadre novateur pour aborder la problématique des NEET au Maroc en mobilisant des ressources privées, en promouvant l’efficacité et la coordination intersectorielle, et en ciblant les populations les plus vulnérables.

J’ose espérer que le Maroc pourra ouvrir la voie à d’autres nations africaines en mettant en place un « sandbank » pour les SIB avant d’entamer une réflexion pour une législation le cas échéant.

Au regard de la taille de l’enjeu des NEET en Afrique, le Maroc pourrait être un laboratoire d’innovation sociale pour un des enjeux majeurs de notre continent. Cette innovation sociale pourrait être partagée avec les autres pays africains dans le cadre de la vision royale d’une coopération Sud- Sud.


«Les NEET»

Les NEET (Not in Education, Employment or Training) désignent des individus qui ne sont ni employés, ni étudiants, ni en formation (formelle ou non formelle).

L’acronyme NEET est apparu au milieu des années 1990 au Royaume-Uni, en réponse à la nécessité de mesurer la vulnérabilité des jeunes sur le marché du travail. Initialement, le terme « Statuts Zer0 » était utilisé pour décrire les jeunes qui ne correspondaient à aucune des catégories communément employées pour définir leur situation sur le marché du travail. Le terme NEET a été adopté pour clarifier le concept et attirer l’attention sur la nature hétérogène de cette catégorie.


«Social Impact Bonds»

Les Social Impact Bonds (SIB) constituent un modèle financier innovant qui associe le secteur public, des investisseurs et des organisations sociales pour financer des projets à impact social.

Trois acteurs clés sont impliqués dans un SIB :

Pouvoir Public : Il peut s’agir d’un ministère, d’une collectivité territoriale ou d’une agence publique. Il identifie le besoin social, définit les objectifs et fixe les critères de réussite. Le pouvoir public s’engage à rembourser les investisseurs si les résultats escomptés sont atteints.

Investisseurs : Ce sont souvent des organismes de développement, des fondations, des investisseurs institutionnels ou des particuliers fortunés qui fournissent le financement initial du projet. Ils prennent le risque financier en échange d’un potentiel retour sur investissement.

Opérateurs Sociaux : Ce sont des associations, des ONG ou des entreprises sociales chargées de mettre en œuvre le programme social. Ils sont responsables de la gestion quotidienne et de la réussite du projet.

Le processus SIB en 5 étapes :

  1. Le pouvoir public identifie un problème social à résoudre, comme la réduction du taux de NEET. Il fixe des objectifs spécifiques et mesurables. Par exemple, atteindre un taux de sortie positive des jeunes femmes de 75 % ou un taux d’insertion professionnelle des jeunes ruraux de 60 %.
  2. Des investisseurs nationaux et internationaux sont sollicités pour financer le projet.
  3. Un ou plusieurs opérateurs sociaux sont choisis pour concevoir et mettre en œuvre un programme social permettant d’atteindre les objectifs fixés.
  4. Les résultats sont évalués par un expert indépendant à la fin du projet pour déterminer si les objectifs ont été atteints.
  5. Si les objectifs sont atteints, le pouvoir public rembourse les investisseurs avec un rendement prédéterminé. Sinon, les investisseurs peuvent ne pas être remboursés ou percevoir un rendement réduit.