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Idées

Moudawana : l’acquis n’est pas irréversible

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Leur vie durant, le rôle de nos grands-mères a été essentiellement déterminé à la naissance par ce que l’on appelle un système féodal de «castes» (qui fixe les rôles de chacun à la naissance). La génération de nos grands-parents était confortée par l’idée que les gens se marieraient, que les femmes auraient des enfants et les élèveraient, et que la subsistance de la famille serait assurée par les hommes. Il était inimaginable de concevoir en termes d’équité les questions relatives à la responsabilité familiale, aux conditions constitutives du mariage, de sa dissolution, de ses effets, des droits de l’épouse. Ce système est en train de se désintégrer, du fait d’évolutions incontournables. L’avènement d’un nouveau code de la famille, d’inspiration moderniste, est indéniablement un acquis dans la voie de l’instauration d’une égalité réelle entre l’homme et la femme. En posant moult restrictions à la polygamie, en supprimant la répudiation, en instaurant le consentement au mariage et l’égalité des sexes face au divorce, le projet traduit, au niveau de la norme juridique, une réelle volonté réformatrice.
Toutefois, l’effort déployé au plan institutionnel doit être payé de retour dans l’ordre pratique. Les dysfonctionnements de la justice risquent de menacer la réussite de la réforme. Si l’on regarde, non plus du côté du code, mais du côté de l’application qui pourrait en être faite par les tribunaux, on ne manquerait pas d’y trouver quelque motif d’inquiétude. Dans la société marocaine d’aujourd’hui, la régulation par le droit bute sur des écueils économiques, politiques et culturels. Elle se heurte encore à des traditions et à des mœurs qui s’érigent en obstacles à l’application de la loi. Le droit entre en conflit avec des pratiques de pouvoir, de puissance et de clientèle. La règle de droit perd, du coup, sa prééminence. On s’ingénie à y échapper, à la contourner ou à en différer l’application. Plus contraignantes sont les carences du système judiciaire. Affectée par les procédures, la lenteur de la justice se renforce par l’inadaptation de la formation des magistrats. Ces problèmes connus devraient susciter des réactions salutaires de la part du législateur.
Avec la réforme de la Moudawana, on prend la direction du changement. Mais rien ne dit que le mouvement d’émancipation des femmes sera irréversible. La valorisation des relations dans la sphère privée (la famille, l’éducation des enfants, etc.) doit être consolidée par l’avènement d’un modèle de relations domestiques et professionnelles moins inégalitaires. Certes, l’Homo œconomicus est en passe d’être rejoint par un genre économique encore inconnu – la Femina œconomica – une femme rationnelle, indépendante et informée, qui exerce son droit de prendre des décisions, et qui entend le concept de coût d’opportunité. Mais, l’égalité entre hommes et femmes est encore loin. L’arrivée des femmes dans les universités et leur insertion dans le monde du travail rémunéré est trompeur. Il masque le maintien d’écarts considérables entre les deux sexes.
Comment faire pour que les choses s’accélèrent sur ce terrain ? On ne décrétera pas l’égalité, pas même dans la sphère privée. Ménage, courses, encadrement des enfants…., les femmes prennent en charge la plus grande partie des tâches domestiques. Si les inégalités entre les sexes perdurent, c’est que, au-delà du problème de l’avancement des femmes dans le système lui-même, c’est tout le comportement social qui est en cause. On a longtemps cru que la formation permettrait de rattraper les retards, mais les inégalités sont toujours là. Beaucoup de mesures pourraient être prises pour remédier à cette situation. L’une d’elles ne réside-t-elle pas dans le renforcement de la participation des femmes au système politique ? Les pays où les inégalités de genre sont les moins accentuées sont aussi ceux où les femmes participent le plus au système politique. Une telle mesure pourrait faire avancer la cause des femmes. Elle ne réglera certainement pas tout, notamment la question du modèle social dans son ensemble. On peut tout de même espérer qu’elle contribuera à une meilleure évaluation des besoins des femmes