Idées
Modernisation en trompe-l’oeil
Le système juridique marocain est donc en voie d’être profondément réformé, dixit l’honorable ministre de la justice. Mais force est de constater que malgré tous les efforts entrepris en ce sens, des mentalités archaïques continuent d’exister, et cela est visible dans tous les tribunaux.

Prenons certaines audiences pénales, ou d’autres à la Cour d’appel. Les salles sont en général bondées, et il est très difficile de suivre le déroulement d’un procès : tout se passe devant, entre le juge et le prévenu.
Leurs propos sont inaudibles, les explications des avocats se perdent dans le brouhaha et un bruit de fond (circulation, ambulances qui passent, conversations étouffées) couvre tous les débats. Ce détail n’est pas anodin, car le législateur a bien spécifié que les audiences des tribunaux doivent impérativement être publiques : ceci non pour garantir un spectacle, mais pour que la justice rendue soit juste et équitable, le rôle du public étant de «contrôler» un peu ce que font les juges. Pourtant, pour régler ce problème les aides n’ont pas manqué : de l’Union Européenne, au Japon, sans oublier la Banque Mondiale, de nombreux prêts à taux préférentiels ont été accordés au Maroc.
Mais les vieux réflexes ont la vie dure. Toutes les salles d’audience ont été équipées de matériel de sonorisation (micros, haut-parleurs…), et on peut les voir, encore aujourd’hui, dans leur emballage bleu d’origine car ils sont peu utilisés.
La faute à qui, direz-vous ? À personne, en fait, juste un manque de volonté de faire changer les choses. Dès leur installation, puis leur mise en fonction, on a découvert que ces micros n’étaient pas tout à fait au point, du moins pour certains d’entre eux, et causaient parfois quelques soucis à l’usage : effet Larsen perçant dans la salle, distorsions diverses, sifflements dans les haut-parleurs, le tout entraînant aussi parfois un court-circuit général et la coupure de l’électricité dans la salle.
Ce qui obligeait alors les magistrats, soit à suspendre momentanément l’audience, soit à émigrer vers une salle non encore «modernisée». 
Mais ces désagréments, pour dérangeants qu’ils fussent, étaient somme toute, normaux : comme pour toute nouvelle installation, il fallait un certain temps d’adaptation, de réglages ou de corrections, avant que le système ne soit totalement opérationnel. Idée qui n’a pas fait son chemin, et nous laisse encore avec des salles équipées avec du matériel inutilisé.
Même chose pour les installations de climatisation.
D’abord une question simple : pour certains bâtiments relativement récents, comme le tribunal de commerce (une merveille architecturale), le Tribunal Social et de la Famille (à Hay Hassani), comment peut-on concevoir la construction de tels équipements sans prévoir, dans le budget, le coût de la climatisation? Question sans réponse, et de ce fait, dans ces deux bâtiments, il a fallu des années avant que ne soient entrepris des travaux de mise à niveau. Qui dit travaux suppose des désagréments divers, bruits, poussières, pose de câblages…, qui dérangent dans un tribunal en pleine activité.
Du coup, on réduit l’ampleur des travaux, on n’équipe pas toutes les salles, et on se retrouve avec un bâtiment où il fait plus chaud encore qu’à l’extérieur en période estivale, ce qui n’est guère commode pour la concentration de ceux qui y travaillent, magistrats, avocats, greffiers ou autres.
Et parfois la modernisation prend une allure comment dire… ubuesque. Ainsi en est-il de l’informatisation des tribunaux. Des ordinateurs sont à la disposition des justiciables et avocats afin de contrôler et faire un suivi rapide des dossiers. Intention louable et pratique, si l’on ignore les «couacs» informatiques.
Mais que dire du PC flambant neuf, intelligemment situé HORS de l’enceinte du tribunal, et condamné à un vandalisme programmé ? Du coup, il a fallu engager un vigile, chargé de veiller sur ce PC et réaménager les rondes de police affectées au Tribunal, afin de toujours garder un œil sur cet équipement. Éminemment pratique du reste, si l’on veut vérifier un dossier, toutes affaires cessantes et de toute urgence un samedi à deux heures du matin sous la pluie!
