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Idées

L’Oukaimeden, la belle oubliée

Depuis plusieurs années déjà , il est question d’un projet mirifique qui, en installant des canaux à  neige, referait à  nouveau de l’Oukaimeden le Courchevel du Maroc. Mais le temps passe et comme Soeur Anne, la station et ses habitants ne voient rien venir. Quant à  la route qui mène jusqu’à  elle, elle n’a plus de route que le nom. L’Oukaimeden fut. Il serait si bon qu’elle soit à  nouveau pour le bonheur de tous, ses habitants d’abord, les amoureux de la montagne ensuite.

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Hinde TAARJI 2013 01 07

Aux premières lueurs de l’aube, la musique mêlée au bruit des voix a brisé le silence. Sur la petite place, plus d’une dizaine de bus occupent le parking, alignés en rang d’oignons. Comme chaque dimanche, l’Oukaïmeden, telle une belle au bois dormant tirée de son sommeil, renoue avec la vie. Mais une vie qui n’a plus rien à voir avec celle qui fut longtemps la sienne, des décennies durant, lors de la saison d’hiver. Ce n’est plus le monde des skieurs qui prend possession d’elle mais celui des promeneurs. Ses pistes sont toutes aussi fréquentées mais autrement, bien autrement. On y glisse encore certes, mais entre les cailloux et sur les fesses. Et attention aux bolides qui déboulent sur les luges de fortune ! Autant ne pas se retrouver sur leur chemin si l’on tient à repartir sur ses deux jambes. De solides gaillards jouent aux petits garçons et, oubliant le poids qu’ils pèsent, descendent droit devant, indifférents à tout ce qui se trouve sur leur passage.

 Au fil des ans, avec la raréfaction de la neige, l’Oukaïmeden a beaucoup perdu de sa superbe. Désertée par la bourgeoisie casablancaise qui y passait ses vacances d’hiver, elle ne reprend un peu de couleurs que par l’entremise de cette foule qui l’investit le dimanche. Une foule bien différente de la population chic à laquelle elle a longtemps été habituée. Populaire et bon enfant, celle-ci est certes plus en phase avec les habitants du lieu. Mais ces derniers n’en gagnent pas pour autant au change sur le plan financier. Sa consommation étant à la hauteur de ses moyens, l’argent dépensé dans les tagines au feu de bois et dans les verres de thé l’espace d’une journée reste bien en deça de ce que, par le passé, les amoureux de la glisse laissaient dans la poche des montagnards. Qu’il s’agisse des loueurs de skis, des moniteurs et autres petits métiers de la neige, c’est toute une économie qui, progressivement, s’est étiolée au détriment de ceux qu’elle faisait vivre, quelques semaines par an. Cette source de revenus tarie, ces derniers se retrouvent plus pauvres que jamais. Aussi attendent-ils avec impatience l’arrivée du dimanche et, avec lui, cette foule gouailleuse qui, à chacun d’entre eux, va permettre de gagner de quoi tenir, tant bien que mal, la semaine à venir.

La radioscopie de cette station de ski tombée en décrépitude est instructive pour ce qui est de certains aspects de l’évolution actuelle de la société marocaine. Elle montre, par exemple, l’affirmation d’une classe moyenne qui, malgré ses revenus modestes, prend goût à sortir et à consommer. Outre les dizaines de bus arrivés sur place dès les premières heures de la matinée, la file des véhicules qui grimpent, capot contre capot, la route de montagne, étroite et sinueuse, impressionne par sa longueur. Ce ne sont plus de grosses Mercedes ou de luxueuses BMW, mais des voitures de bien moindre marque qui montent en peinant et en crachant leurs tripes. Comme pour ce qui est de l’envahissement des plages, la montagne a cessé d’être l’espace réservé de l’élite. C’est, certes, l’absence de neige qui en a détourné cette dernière mais, indépendamment de ce fait, celle-ci n’est plus seule à vouloir profiter des bienfaits de la montagne. Les couches moyennes et populaires manifestent elles aussi le besoin de respirer un grand bol d’air pur. Ainsi le dimanche, même quand la neige est au rendez-vous, est-il devenu illusoire d’espérer skier, les pistes, notamment de niveau intermédiaire, étant prises d’assaut par les promeneurs. Mais, ce faisant, le week-end terminé, la vague se retire et l’Oukaïmeden retombe dans le silence et la solitude. Et c’est triste, triste à mourir, de voir ce lieu, jadis si vivant, dans un tel état d’abandon. La plupart des chalets ont les volets clos, les quelques hôtels existants, hormis l’insubmersible «Chez Juju» ont mis la clé sous le paillasson et les «tire-fesses» ne tirent qu’eux-mêmes. Depuis plusieurs années déjà, il est question d’un projet mirifique qui, en installant des canaux à neige, referait à nouveau de l’Oukaïmeden le Courchevel du Maroc. Mais le temps passe et comme Sœur Anne, la station et ses habitants ne voient rien venir. Quant à la route qui mène jusqu’à elle, elle n’a plus de route que le nom. Etroite et remplie d’ornières, elle n’a pas connu l’ombre d’une amélioration depuis l’époque du protectorat lors duquel elle fut construite. L’Oukaïmeden fut. Il serait si bon qu’elle soit à nouveau pour le bonheur de tous, ses habitants d’abord, les amoureux de la montagne ensuite.