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Idées

L'(ir)rationalité économique du terrorisme

Le monde est-il entré dans une phase de son histoire que l’on pourrait qualifier d’«hyperterrorisme» ? La fréquence de ces tragédies d’un type nouveau le laisse penser.

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Des drames vécus, presque en temps réel et en direct, par une planète abasourdie, qui révèlent la fragilité des sociétés modernes, mise à  nu par la détermination diabolique des terroristes. L’horreur ne doit pas empêcher de raisonner, au contraire. Les outils de l’analyse économique peuvent nous aider à  comprendre les actes terroristes et leurs effets et à  réagir d’une manière plus efficace.

Le terroriste se glisse (en partie) dans la tête de ses victimes, puisqu’il entend influencer leurs actes. Il est, d’une certaine manière, rationnel, mais déséquilibré. Rationnel d’abord, car il entend maximiser ses intentions destructrices en fonction des moyens dont il dispose. Il cherche un effet multiplicateur, une espèce de rendement maximal de la violence. Mais son calcul est très déséquilibré : il survalorise les dommages (économiques et politiques) qu’il fait subir, il minimise la question des «victimes innocentes» et sous-pondère les réactions hostiles vis-à -vis de lui et de ses proches. Il est donc très peu sensible au risque qu’il fait peser sur son propre camp.

La logique terroriste, celle donc d’une rationalité déséquilibrée, est connue des acteurs économiques et des marchés. Ce qui ne les empêche pas d’être désorientés. Pour réagir, ils vont donc calculer les effets des actions terroristes à  court et moyen terme. A court terme, il s’agit pour eux de comprendre la stratégie des terroristes : nombre d’attentats qu’ils entendent mener dans leur montée aux extrêmes, les possibilités de les réaliser, leurs effets prévisibles. L’acte terroriste étant multiplicateur, il vise à  polariser les anticipations des agents. Les voilà , de plus en plus nombreux, à  se montrer davantage inquiets et à  rechercher des activités plus sûres. La prime de risque augmente, ce qui réduit les propensions à  consommer (notamment en biens durables, en services perçus comme exposés), à  investir (notamment en projets longs), et plus encore à  investir à  l’étranger (notamment lointain et problématique).

La première conséquence à  court terme est donc récessive. Elle pousse les acteurs à  être plus «liquides», à  chercher une croissance plus intensive qu’extensive. Les budgets publics se creusent, mécaniquement, car l’activité faiblit, et, volontairement, afin de contrer les pertes sectorielles et d’organiser le rebond. En somme, la destruction induit des problèmes d’assurance ; elle change les comportements futurs, avec des effets négatifs à  court terme. Sa portée systémique oblige à  des soutiens publics, qui réduisent les marges de manÅ“uvre des Etats et comportent des risques à  moyen terme (déficits, impôts, inflation, dévaluation…).

A plus long terme, le terreau du terrorisme reste l’ignorance, l’injustice, le mépris, la peur, la misère. Il faudra donc s’interroger sur les conditions d’une croissance durable et soutenable, sur des centres de décision mieux répartis, sur le rôle des instances internationales pour une meilleure gouvernance mondiale. Une réaction concertée et coordonnée de tous contre la propagation de ce mal s’impose. Avec l’ambition affirmée de s’attaquer, non pas à  ses seuls effets, mais avant tout à  ses racines. Pour changer ce monde il est urgent d’agir dans deux directions complémentaires : développer la démocratie à  travers le monde et lutter efficacement contre les inégalités. La solidarité avec les plus nécessiteux doit devenir une priorité, car, nul ne l’ignore, pauvreté et désespoir font le lit de tous les fanatismes, avec pour corollaire mépris de la vie et outrage aux valeurs fondamentales de l’humanité.

On le voit, la tâche n’est pas mince. Pour autant, le pire serait de se résigner, par insouciance ou inconscience, à  l’idée de permanence inéluctable de foyers de crise qui, çà  et là , déstabilisent périodiquement pays et régions, empoisonnent les relations internationales. Il faut certes combattre ces crises lorsqu’elles éclatent, mais il importe autant, sinon plus, de les prévenir par une vigilance et un engagement constants