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Idées

L’exonération fiscale de l’agriculture, manne ou malédiction ?

Contraire aux fondements mêmes d’une économie de marché, l’exonération fiscale dans l’agriculture
contribué à l’appauvrissement et à l’exode rural d’un grand nombre d’agriculteurs ces vingt dernières années, et toutes les conséquences n’en sont pas encore connues. Il est urgent de mener une réflexion de fond sur la suite à lui donner après 2010, et sur la réforme de l’agriculture en général.

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A moins de trois ans de l’expiration de l’exonération fiscale de l’agriculture, reconduite pour une période de 10 ans en 2000 par feu le Roi Hassan II, il est opportun d’entamer une profonde réflexion sur l’utilité de reconduire cette mesure ou de la mettre dans la poubelle de l’histoire.
Dans une économie qui se veut libérale comme celle du Maroc, il est difficiled’imaginer un seul argument logique en faveur de cette exonération, du moins sur le plan économique et social. Par contre, on peut facilement comprendre pourquoi et comment cette exonération est contraire aux fondements mêmes d’une économie de marché, et comment elle a contribué à l’appauvrissement du monde rural et à la prolifération de bidonvilles dans les périphéries urbaines du Maroc.
En tout premier lieu, l’exonération fiscale de l’agriculture n’a aucune raison d’être dans une économie de marché, car, dans celle-ci, un système d’incitations doit être neutre. Il est futile de chercher à orienter le capital parce que celui-ci va toujours de lui-même là où la rentabilité est la plus élevée, puis vers les activités relativement moins rentables, et ainsi de suite jusqu’à son épuisement. C’est la raison pour laquelle l’épargne est toujours égale à l’investissement ex-post dans une économie de marché. L’agriculture est une activité comme une autre et, si celui qui la pratique gagne de l’argent, il doit payer des impôts comme c’est le cas dans toutes les autres activités productives de l’économie.
De toute façon, cette exonération fiscale de l’agriculture n’a été d’aucune utilité à la grande majorité des agriculteurs, surtout pas aux petits fellahs exploitant un lopin de terre. Ces derniers ne dégagent généralement aucun surplus et encore moins un profit et ils ne sont pas, de ce fait, imposables. Au vu de cette réalité, les cyniques diraient que l’exonération fiscale de l’agriculture n’a été décidée que pour profiter aux grosses fortunes familiales du Maroc.
Une telle critique ne serait pas sans fondement car, contrairement aux petits exploitants, l’exonération fiscale de l’agriculture a profité, et même beaucoup, aux grands propriétaires terriens. Déjà nantis, ces derniers se sont enrichis davantage grâce à cette exonération en faisant de l’agriculture un refuge fiscal. Ces mêmes nantis ont toujours cherché à s’enrichir davantage. Pour ce faire, il leur fallait acquérir plus de terres agricoles pour pratiquer une agriculture encore plus extensive. Et où trouvent-ils ces surfaces ? A proximité de leur patrimoine. Ces terres appartiennent souvent à des petits agriculteurs qui les exploitent avec beaucoup de difficultés. Généralement surendettés, ils n’ont d’autre choix que d’accepter les offres d’achat faites par leurs grands voisins. Après avoir remboursé une partie de leurs dettes, et dépensé le reste du capital obtenu grâce à la cession de leurs biens, ces petits agriculteurs sombrent dans la misère et un grand nombre parmi eux émigrent vers les villes pour squatter un bidonville, en attendant de trouver un emploi pour lequel ils n’offrent aucune qualification. Cette situation tragique s’est répétée des milliers de fois, réduisant le nombre de petites exploitations familiales au profit des grosses fortunes marocaines qui ne connaissent rien à l’agriculture.

Une des plus mauvaises décisions prises par le Maroc depuisson indépendance
Pour toutes ces raisons, l’exonération fiscale de l’agriculture doit figurer de manière très saillante sur la liste des plus mauvaises décisions économiques prises par le Maroc depuis son indépendance. Il est grand temps d’y mettre fin, même si le Maroc a la consolation de savoir qu’il n’a pas été le seul à commettre cette erreur. Un bel exemple est le cas du Pakistan, où l’agriculture avait longtemps été exonérée et où la situation était même pire que celle du Maroc car pratiquement toutes les acquisitions faites par les nantis étaient financées par des crédits bancaires. Ceux-ci n’étaient d’ailleurs jamais remboursés jusqu’à ce que, avec l’encouragement de la Banque Mondiale, le gouvernement intérimaire de Moeen Qureishi ne décide de publier dans les journaux locaux les noms de tous les mauvais payeurs. Moins de deux semaines après la publication de leurs noms, plus de 90 % d’entre eux avaient apuré leurs arriérés et régularisé leur situation auprès de leurs créanciers.
Personne aujourd’hui ne connaît avec précision toutes les autres conséquences de l’exonération fiscale de l’agriculture au Maroc, au-delà de l’appauvrissement et de l’émigration rurale forcée d’un grand nombre d’agriculteurs ces vingt dernières années. Ceci est une raison en soi pour initier une réflexion au niveau des autorités afin de décider de la suite à donner à cette exonération au terme de sa période actuelle, c’est-à-dire en 2010.
De toute manière, la suppression de l’exonération fiscale de l’agriculture ne saurait constituer qu’une toute première étape dans le processus de réforme du secteur agricole, plusieurs fois annoncée ces dernières années mais jamais entamée. La réflexion nécessaire sur l’exonération fiscale de l’agriculture serait à cet égard opportune, car elle pourrait nourrir une plus large réflexion sur le contenu du programme de réforme du secteur agricole. Celui-ci est indispensable si le Maroc veut achever et cimenter son intégration dans l’économie mondiale.

* Economiste de formation, Abderraouf Benbrahim a effectué toute sa carrière professionnelle à la Banque Mondiale où il a occupé divers postes de manager avant de prendre sa retraite en 1997 et de s’installer au Maroc.