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Idées

L’exemplarité comme moyen de lutte

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Conférence autour de la Palestine donnée par un Palestinien. A l’issue de son intervention, la parole est à la salle. Comme à l’accoutumée, les passions enflamment le public. Deux intervenants partent dans une altercation violente. D’une voix calme mais ferme, le conférencier les rappelle à l’ordre : «S’il vous plaît, ne vous énervez pas. Il n’y a pas lieu de se disputer. Ce n’est pas ainsi que vous pourrez aider le peuple palestinien». Et de rajouter, laissant sa phrase en suspens : «A moins que les causes de vos dissensions soient autres que la Palestine, auquel cas …». Message sous-entendu : «cessez de prendre la Palestine pour exutoire à vos propres problèmes». C’était à Casablanca, au centre culturel d’Anfa, lors d’une rencontre avec Nabil Hajjar, professeur à l’université de Lille. Dans le cadre de ses activités culturelles, la toute nouvelle association Solidarité Maroc-Palestine avait invité cet universitaire palestinien à venir parler du retrait israélien de Gaza. Après avoir décrit par le menu l’état dramatique dans lequel l’occupant laisse cette étroite bande de terre à la densité de population parmi les plus élevées du monde (1,2 million de Palestiniens sur 300 km2), le conférencier a mis l’accent sur la dangerosité extrême de la situation actuelle en Palestine. Contrairement à ce que ce retrait voudrait faire croire, il ne s’agit pas là, a-t-il expliqué, d’une avancée sur le chemin de la paix mais au contraire de la mise en application d’un volet de la stratégie israélienne d’enfermement des Palestiniens dans des bantoustans. Après 38 ans d’occupation, Gaza a certes été évacuée. Mais pas libérée ! C’est une prison à ciel ouvert dont les clés demeurent dans les poches de Tsahal. Pendant que le monde regarde vers Gaza et congratule Sharon pour sa mue «pacifiste», le nouvel «homme de paix» lance ses bulldozers sur la Cisjordanie. Construction du mur, destructions de maisons, arrachage d’oliviers, confiscation des terres, la politique d’occupation s’y renforce de plus belle. Quant à Gaza, certes ses habitants vont pouvoir goûter le bonheur réel de se déplacer d’un point à l’autre sans buter à chaque pas sur un soldat israélien mais au-delà de cet acquis, considérable en soi, il reste cette situation de poudrière aux conséquences potentiellement désastreuses. Ces conséquences, ce sont les déchirures fratricides à l’intérieur de la famille palestinienne, ce sont les mutations idéologiques de ses combattants. Il n’a pas fallu attendre beaucoup après le départ du dernier soldat israélien de Gaza pour voir une reprise de la violence. Après l’explosion meurtrière, lors d’un défilé de Hamas, de roquettes envoyées sur une banlieue israélienne, les F5 ont été de retour dans le ciel gazaoui. Et voilà l’Autorité palestinienne, face aux milices armées, prise de nouveau entre le marteau et l’enclume. Car comment, dans un contexte social dramatique où plus de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, où les possibilités de redressement économique sont tragiquement réduites du fait de l’enfermement, faire régner l’ordre et contenir les dérives extrémistes ? Des grands dangers de l’après-Gaza, l’exacerbation du fondamentalisme religieux n’est pas le moindre. Jusqu’à présent, a expliqué Nabil Hajjar, le mouvement islamiste Hamas avait toujours posé son combat comme une lutte de libération nationale, s’inscrivant ainsi dans la démarche globale de la résistance palestinienne. Mais depuis peu, a relevé le conférencier, un glissement s’est opéré dans les discours. Chez les islamistes palestiniens, il est de plus en plus question de combat pour l’islam plutôt que de combat pour la Palestine. Cette mutation sémantique ne peut qu’enchanter les Israéliens. D’une manière générale, plus les Palestiniens échoueront à faire régner l’ordre dans leurs rangs, plus ils lanceront leurs dérisoires «objets volants» sur les villes israéliennes et iront s’y faire exploser en criant au jihad généralisé, plus la stratégie israélienne fonctionnera. Et cette stratégie quelle est-elle ? Faire oublier au monde le pourquoi de la lutte palestinienne, à savoir la lutte d’un peuple pour son rétablissement dans ses droits nationaux. Voyez, pourra dire en substance Israël, nous leur avons rendu Gaza et que font-ils ? Ils s’entre-déchirent et attaquent nos villes. Au nom de quoi ? Au nom de l’islam. Au nom de la civilisation islamique. Donc le combat est un combat Islam / Occident. Donc, nous autres Occidentaux sommes confrontés au même danger : le «terrorisme islamique». Et exit la vraie cause du conflit israélo-palestinien ! Nabil Hajjar s’est employé à rappeler que les Israéliens agissent toujours dans le cadre d’une stratégie mûrement pensée. Qu’aucun de leurs actes n’est le fruit du hasard, que leur politique, depuis le premier jour, demeure celle du fait accompli. Aller dans la dérive idéologique précitée, c’est jouer pleinement le jeu de Sharon et, de ce fait, exposer la cause palestinienne aux plus grands dangers. Quid alors de la stratégie palestinienne ? Au-delà de leurs discours grandiloquents, de celle des pays arabes ? La réponse est connue de tous. Il n’y a pas de stratégie, juste des réactions au coup par coup. La cause ? Une évidence aussi : la décadence du monde arabe et la réalité du rapport de force. Nabil Hajjar, avec un courage rare, dira : «Nous sommes dans une position de vaincus». Est-ce à dire qu’il faille, pour les Palestiniens, abdiquer et se soumettre ? Tel ne fut nullement le message du conférencier. Renoncer à la lutte pour la reconnaissance de leurs droits nationaux, jamais, réfléchir sur celle-ci et l’adapter à la réalité du rapport de force, oui. Interrogé sur le type de combat que lui-même privilégierait pour son peuple, Nabil Hajjar s’est prononcé pour celui de l’exemplarité. L’exemple sur le plan de l’éthique, de la morale et des droits humains dans leur globalité. En un mot, l’exemplarité en matière d’humanité. Plus grands dans leur humanité seront les Palestiniens, plus la justesse de leur cause se fera éclatante et plus leur combat aura des chances, un jour, d’aboutir