Idées
Les QRSVA, vivier d’optimisation du quotidien des juristes
Les juristes sont les premiers à faire la différence entre le service que l’on peut rendre et l’abus que cela peut engendrer. La direction juridique ne doit pas ainsi devenir le guichet des solutions faciles pour compenser les imperfections inhérentes à toute organisation, au risque de devenir rapidement une fonction purement support et de perdre une grande part de la dimension stratégique inhérente à son activité.

Aujourd’hui, le rôle des juristes dans l’entreprise est de plus en plus complexe et de plus en plus polyvalent. Cette complexification et diversification est due à la fois à l’augmentation constante du nombre de normes à appréhender, à la complexification des informations à remonter au régulateur (anti-blanchiment, CNDP, RGDP, etc.), et au souhait exprimé par les directions générales de rationaliser les dépenses à tous les étages de l’entreprise et donc aussi au niveau des directions juridiques. Par ailleurs, la fonction juridique est une des fonctions les plus transverses de l’entreprise. «Transverse», dans le sens où les juristes sont une des rares fonctions de l’entreprise à être en interaction avec la quasi-totalité des autres parties prenantes de l’entreprise, qu’il s’agisse des fonctions opérationnelles ou des autres fonctions supports. Par conséquent, la montée en puissance des juristes dans l’entreprise s’est accompagnée d’une plus forte implication aux côtés de leurs clients internes.
C’est sur ce terreau et dans cet environnement que les juristes ont vu fleurir ces dernières années des questions à faible impact sur l’activité de l’entreprise et/ou dont l’enjeu juridique est relativement faible, venant accroître leur charge de travail de manière substantielle sur des sujets pourtant non stratégiques. A force d’accompagner des juristes confrontés à ces questions, nous en avons tiré un acronyme. Chez Day One, nous parlons en la matière de Questions Récurrentes Sans Valeur Ajoutée («QRSVA»). Les juristes ont, sur le sujet, un langage plus fleuri qui ne peut être repris ici…
Les exemples suivants sont tirés de cas réels :
– Traductions effectuées par les juristes, sur des documents juridiques comme sur d’autres documents, au motif que personne d’autre ne parle aussi bien la langue ;
– Relecture systématique de courriers, parce que tout courrier est assimilé à «du juridique», alors que certains e-mails sont bien plus engageants qu’un courrier ;
– Validation de factures au motif que seuls les juristes sont au courant du montant, celui-ci se trouvant dans un contrat ;
– Demandes d’explications d’acronymes propres à l’entreprise, du fait que le juriste reste en moyenne plus longtemps dans l’entreprise que ses clients internes et a donc une meilleure connaissance des acronymes et us et coutumes de l’entreprise ;
– Etc.
Ces sujets sont chronophages à deux niveaux : d’abord, pour le temps qu’ils occupent pour être traités ; ensuite, pour le temps qu’ils occupent dans la coupure qu’ils provoquent dans l’activité du juriste. En effet, le juriste qui prend le temps de traiter une QRSVA devra ensuite prendre le temps de se replonger dans ses dossiers.
Aussi, lors de missions d’optimisation de l’organisation du département juridique, pour faire gagner du temps aux juristes, l’un des premiers mouvements est-il de quantifier et de chasser ces micros-sujets très chronophages qui n’entrent pas dans le périmètre normal des attributions du juriste.
Les juristes sont les premiers à faire la différence entre le service que l’on peut rendre et l’abus que cela peut engendrer. La direction juridique ne doit pas ainsi devenir le guichet des solutions faciles pour compenser les imperfections inhérentes à toute organisation, au risque de devenir rapidement une fonction purement support et de perdre une grande part de la dimension stratégique inhérente à son activité. Le traitement au quotidien des QRSVA abusives, une fois celles-ci identifiées, doit donc être clairement et officiellement sorti du périmètre de la direction juridique.
A contrario, il conviendra de redoubler d’inventivité pour répondre aux besoins profonds et non satisfaits que révèlent ces QRSVA. Les juristes apporteurs de solutions ont ici une opportunité de rester proches de leurs clients internes en leur proposant une réponse à des questions légitimes, sans pour autant traiter ces questions au quotidien. Les juristes doivent donc veiller, en proposant des solutions à leurs clients internes, à ce que ceux-ci puissent trouver directement une réponse à ces QRSVA, et ne plus simplement s’en débarrasser sur eux.
Si la technologie est bien souvent exploitée pour permettre un traitement efficace de ces QRSVA, notamment à travers le recours aux chatbots, d’autres solutions, en fonction des sujets, pourront être envisagées :
– Inciter les clients internes à recourir à un prestataire externe pour les tâches de traduction ;
– Réorganiser l’information pour en faciliter l’accessibilité et ainsi éviter de déranger le juriste ;
– Structurer des formations pour permettre aux clients internes de s’imprégner des véritables enjeux juridiques ;
– Guider les clients internes dans la réalisation de tâches juridiques simples, en vue de leur faire gagner du temps ;
– Coordonner l’ensemble des ressources de la Direction Juridique grâce au Corporate Legal Operations Officer, lorsqu’il existe ;
– Etc.
L’organisation du traitement des QRSVA est donc un vivier d’optimisation pour les directions juridiques. La masse de ces questions une fois réduite à peau de chagrin permet en effet aux juristes de gagner ce qu’ils ont de plus précieux dans leur quotidien : du temps. En traitant et réorganisant ces sujets, il est possible de faire gagner jusqu’à plusieurs heures par semaine aux juristes. Plusieurs heures, cela peut sembler dérisoire, mais multipliées par le nombre de personnes, par le nombre de semaines et transformées en Equivalent Temps Plein (ETP), cela devient une véritable manne. A l’heure où la rationalisation est à l’œuvre jusque dans les directions juridiques, cette piste est un levier important et une source de revalorisation du quotidien des juristes.
Plus important encore, en recentrant ainsi les juristes sur leur cœur de métier, l’entreprise en ressort mieux protégée, car un juriste qui a le temps est un juriste qui peut se former et innover dans les solutions qu’il propose pour une meilleure défense des intérêts de l’entreprise.
