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Idées

Les partis politiques, un modèle d’organisation en mutation

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Peut-on s’interroger sur les perspectives de la «transition» démocratique sans se poser la question du changement qui affecte les partis politiques ? A l’évidence, non ! Doit-on alors considérer leur adhésion à une approche plus «sexy» ou plus festive de la politique comme une offense à l’austérité de l’engagement ? Doit-on assimiler les initiatives de la «porte ouverte» à un dépérissement de l’esprit de militantisme ? Doit-on comprendre l’usage de l’internet dans le débat politique comme une incapacité de mobiliser directement les citoyens ? Doit-on considérer la main tendue aux cadres comme une atteinte au sacrifice des militants de base ? Ces appréciations, que l’on retrouve pêle-mêle dans le débat public, paraissent bien réductrices des enjeux de la métamorphose des partis.

Pourtant, dans les commentaires sur leur état, l’accent est souvent mis sur leurs difficultés à s’adapter à l’environnement. On dénonce leur fonctionnement interne au nom de la trahison de l’idéal démocratique dont ils se revendiquent. On met au jour les effets néfastes de leur institutionnalisation. Elle entraînerait inévitablement la professionnalisation et la bureaucratisation. Elle porterait en elle des ferments antidémocratiques dans la mesure où elle conduirait à établir le pouvoir de quelques-uns (le «chef», «l’apparatchik» ou la «machine») contre les simples membres, la confiscation du pouvoir étant indissociable de la manipulation des masses. On s’interroge : que sont devenus les militants ? La diminution des effectifs des partis et des syndicats témoignerait d’un désinvestissement croissant à l’égard de l’engagement collectif.

Sans remettre en cause ce constat, ni même la pertinence de ces interpellations, l’interrogation sur le fonctionnement interne des partis, sur l’évolution de leur mode d’organisation, sur la manière dont ils assument leur rôle dans le système institutionnel doit être poussée plus avant. Certes, le recul du militantisme classique reflète en fait les transformations du rapport de l’individu au collectif. Mais ce qu’on désigne un peu rapidement comme une montée de l’individualisme n’est que la traduction d’un recul des sentiments d’appartenance antérieurs. Les solidarités de «classe», qui ont longtemps joué un rôle essentiel dans la constitution du mouvement syndical, sont remises en cause par l’évolution des structures de l’activité économique.

De même, la dépolitisation des espaces urbains est liée à la métamorphose du paysage de nos villes. En revanche, les citoyens d’aujourd’hui se sentent motivés par d’autres causes qui reflètent la pluralité de leurs sentiments d’appartenance : le militantisme de proximité se développe, militantisme distancié, qui se noue et se dénoue à partir d’enjeux concrets. On rencontre aussi un militantisme plus global, lié à la conscience croissante d’appartenir à l’humanité dans son ensemble, et qui se traduit par un engagement au service des droits de l’homme ou de l’environnement. La protestation change de forme, mais ne se tarit pas. Les nouvelles formes d’action ne sont pas forcément l’expression de revendications uniquement corporatistes et matérielles. Elles sont de plus en plus culturelles. Reste à savoir comment vont coexister dans le temps ces nouvelles formes de mobilisation et les structures syndicales ou politiques traditionnelles.

Associer une évaluation du rôle que les partis politiques assument dans le système politique à une réflexion sur l’évolution sociologique et institutionnelle du pays apparaît évident. Le débat reste donc ouvert. Pour l’engager correctement, il faut bien partir de la distinction établie entre les différentes facettes du rôle de médiation devant être assumé, aujourd’hui, par les partis dans un système politique.

Les partis sont devenus des entreprises de recrutement et de représentation qui se consacrent à la conquête du pouvoir politique dans le cadre électoral et des agences de transformation des clivages sociaux en clivages et enjeux politiques, puis en politiques publiques. En tant qu’entreprise offrant des biens politiques dans le but de conquérir des postes et du pouvoir politique par la compétition électorale, la contribution des partis politiques devrait être évaluée en prenant en compte les biens politiques (candidats et programmes) et les choix qu’ils offrent aux électeurs. En tant que producteurs de clivage idéologique, l’activité des partis devrait être considérée du point de vue de leur capacité à exprimer, à agréger et à représenter les divergences d’intérêts, d’opinions ou d’identités. En somme, la contribution des partis politiques au fonctionnement du système politique devrait être jugée à l’aune de ces nouvelles facettes des fonctions qui leur sont dévolues.