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Idées

Les moteurs bloqués de l’économie

Le magot constitué depuis des années par une croissance inférieure
aux possibilités est désormais de taille. Autant dire qu’on peut envisager sans grand souci un financement de la croissance. Le problème, dans une économie de marché, c’est que la croissance ne se décrète pas.

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L’année 2005 s’annonce-t-elle sous de meilleurs auspices que les années précédentes ? L’économie marocaine, en ce début d’année, se trouve dans une drôle de posture. N’importe quel observateur étranger y verrait, au premier coup d’oeil, une économie assainie et dynamique. Ce qui donne, en langage de macro-économiste sans cesse martelé : la politique économique a contribué à asseoir la crédibilité de l’action gouvernementale et l’équilibre des comptes interne et externe s’est amélioré. En apparence, la situation est bonne. Notre pays a accumulé des milliards de dirhams de réserves. Les exportations progressent. Dans le même temps, les entreprises devraient engranger des profits. Un autre bon signe vient éclaircir encore l’horizon : la poursuite de la baisse des taux d’intérêt réels à long terme. Dans ces conditions, on devrait s’attendre à ce que l’économie nationale connaisse une belle performance. Que nenni ! Aujourd’hui, les instances de prévision révisent leurs estimations à la baisse.
Pourquoi ? Les moteurs internes de l’activité du pays semblent toujours bloqués. L’investissement ne donne pas de véritables signes de redémarrage. Les chefs d’entreprises sont de plus en plus pessimistes, seule une véritable hausse de la demande, jugée durable, peut les entraîner à se lancer dans des dépenses de long terme. La demande, c’est surtout la consommation. Or, le chômage exerce une forte pression sur la demande. Spirale infernale classique : le chômage bloque la consommation qui bloque l’activité… Surtout, on voit mal l’Etat se lancer dans une politique de relance budgétaire vu le niveau de son endettement. Que font les entreprises ? Leurs représentants continuent de réclamer toujours plus de flexibilité et moins d’impôt. Du côté de la majorité de la classe politique, le discours de l’optimisme tranche avec l’impuissance résignée devant les contraintes.
Le paradoxe est que l’économie marocaine dispose aujourd’hui de quelques éléments pour pouvoir appuyer sur l’accélérateur sans aller dans le décor. L’inflation est domptée. L’épargne est disponible. Il faut bien voir que les avoirs extérieurs ou l’aisance de trésorerie des banques ne sont pas autre chose, à l’échelle du pays, qu’un excédent d’épargne sur la dépense. Il y a même quelque chose de surréaliste dans ces ressources inemployées productivement. Comme si, plutôt que de s’intéresser à la création d’emplois, le Maroc mettait de l’argent de côté pour un futur sans perspectives. Imagine-t-on une entreprise qui, sous prétexte de préparer l’avenir, déciderait de ne plus investir et de placer en banque ses profits ? Le magot constitué depuis des années par une croissance inférieure aux possibilités, donc par l’espèce d’épargne forcée ainsi imposée au pays, est désormais de taille. Autant dire qu’on peut envisager sans grand souci un financement de la croissance.
Le problème, dans une économie de marché, c’est que la croissance ne se décrète pas. Certes, l’Etat peut contribuer à l’impulser en accentuant les dépenses publiques. De même, la banque centrale peut réduire les taux d’intérêt à court terme. Mais ces deux instruments traditionnels de la politique économique – la politique budgétaire et la politique monétaire – sont aujourd’hui paralysés : la politique budgétaire parce que l’état de l’endettement impose de maîtriser les déficits publics, pas de les augmenter ; la politique monétaire parce qu’elle est désormais mobilisée en faveur de l’inflation et du taux de change, pas en faveur de l’activité.
Dépourvue d’accélérateur (mais pas de freins), l’évolution de l’économie nationale est donc entièrement dépendante des anticipations des entreprises et … de l’extérieur. En 2004, c’est ce deuxième facteur qui a joué. Mais il importe que des facteurs intérieurs prennent désormais, et vite, le relais. On ne peut faire reposer la dynamique d’une économie seulement sur sa capacité à maintenir des parts de marché, surtout lorsque se confirme l’ampleur de la pénétration asiatique en Europe. Et c’est là que le bât blesse, car cette reprise intérieure supposerait que les revenus des ménages augmentent ou soient mieux distribués. Il semble, dans ce domaine, que les choses ne sont pas en train de bouger, justifiant le relatif pessimisme des prévisions (officielles ou non).