Idées
Les marchands du désespoir
Ouf ! on l’a échappé belle, la guerre civile n’aura pas lieu, Studio 2M est terminé et il n’y a pas eu mort d’hommes. Cette émission aura eu le grand mérite d’avoir dévoilé les tares de notre société. Sur une question comme la chanson on s’est vite retrouvé avec un clivage idiot, charriant des discours excessifs. Excessif était mon ami Boushaba, laissant penser que ces jeunes sont le Maroc, fascisants étaient ses adversaires pour qui “ces jeunes n’ont rien à voir avec le Maroc”.
Ce débat aurait pu être dépassionné et nous permettre de poser la seule vraie question : quelle politique culturelle pour une chaîne de service public? Ce débat n’aura peut-être jamais lieu, parce que les acteurs de la scène culturelle sont pervertis. La politique des subventions ? Une vraie catastrophe, parce que la subvention devient l’objectif ultime. Les cinéastes s’achètent une 4×4 avant le premier jour du tournage et des sommes très importantes ne servent qu’à maintenir en situation précaire des “industries” sans capitaine. Le premier officiel qui s’avisera de partager publiquement mon opinion sera traîné dans la boue. Parler de revoir ce système avec pour finalité de faire prospérer l’art exige une denrée rare : le courage politique. Au lieu de cela on a eu un “débat” autour de la chanson. Les différents “syndicats” sont ridicules, ils veulent censurer la production étrangère en attendant que leurs inepties deviennent “vendables” à l’international.
Dans ce débat il y a beaucoup à dire. Il y a effectivement urgence à assainir le marché de toutes les productions intellectuelles et pas uniquement la musique. Lors de l’émission réservée à ce sujet sur 2M, il y a eu une intervention d’une très grande tenue : celle d’Elam Jay. Voilà un jeune que mes confrères présentaient comme un pistonné sans consistance. Faux ! on peut ne pas aimer sa musique – c’est mon cas – mais c’est une tête bien faite et un cœur bien accroché. Il a dit deux choses qui me paraissent importantes :
– d’abord que l’artiste qui pleurniche sur le manque de moyens n’en est pas un et que quand on est animé par une passion on finit toujours par trouver un public et se faire porter par celui-ci ;
– ensuite, et c’est le plus important, que le discours qui répète à l’envi qu’“il n’y a rien au Maroc”, que rien ne marche et qui justifie l’inaction devrait aboutir à deux attitudes : quitter ce pays ou travailler à partir de l’extérieur.
Elam n’est revenu au pays que depuis peu de temps. Il a mis le doigt sur l’une de nos tares profondes. Des gens qui s’octroient le label d’artiste, tirent sur tout ce qui bouge et attendent la résurrection des Médicis.
Par extension il y a une partie, importante, d’intellectuels qui se refuse à toute action, et qui ne ressasse que son aigreur. Un immense poète qui a payé un lourd tribut pour ses convictions les appelle «les marchands du désespoir». Ce poète s’appelle Abdellatif Laâbi. Il ne boxe pas dans la même catégorie que ceux qui n’ont pour leur pays que haine et mépris alors même que leur «créativité» n’a jamais accouché de quoi que ce soit de consistant. Non Elam, nous ne quitterons pas tous ce pays, nous y renforcerons les acquis et construirons un devenir collectif meilleur. Bienvenue dans ce combat et ne te laisse pas éreinter par les imposteurs. Merci jeune homme pour ta «gnac» !