Idées
Les IFRS au Maroc ou le permis de conduire à gauche
Si la mise en Å“uvre des normes IFRS ne s’est pas faite sans difficultés dans les multinationales ou les entreprises cotées, que dire des PME qui ne disposent pas forcément des moyens financiers et humains nécessaires ? A ces dernières, l’auteur recommande de ne surtout pas oublier qu’il s’agit là d’un projet d’entreprise et non d’une simple affaire comptable.
Les problèmes que les entreprises marocaines doivent analyser puis résoudre pour assurer le passage aux normes IFRS sont à la fois d’ordre technique et de communication. L’entreprise doit anticiper le changement avant de produire l’information financière et comptable selon les normes IFRS.
Il faut aussi et surtout bien le faire savoir. L’implémentation des IFRS, c’est d’abord un projet d’entreprise avant d’être un volet à connotation technico-comptable et financière. A l’instar de l’iceberg, c’est la partie immergée qui est la plus sensible.
Elle passe par l’appropriation de toute la chaîne de valeurs de l’entreprise, du sommet à la base. Implémenter les IFRS au Maroc, c’est apprendre à conduire à gauche quand l’essentiel du tissu économique (les PME) continue de rouler à droite. Imaginez une autoroute sur laquelle les grosses cylindrées roulent à gauche et les autres, c’est-à-dire presque tout le monde, roule à droite, ou encore sur la bande d’arrêt d’urgence !
Pour ces pionniers engagés souvent malgré eux, emportés par la mondialisation et leur «head quarters» basés à l’étranger, rejoints par les groupes cotés sur la place de Casablanca, la mise en place des normes IFRS n’a pas été de tout repos. Elle a mobilisé des équipes dédiées, en interne, appuyées par des consultants externes pour réussir dans des délais convenable leur mise sur orbite.
Pour ces premiers de la classe, l’abandon de vieux réflexes et l’introduction d’un nouveau vocabulaire sont un vrai challenge.
Sur le plan macro économique, l’implémentation des normes IFRS au Maroc rencontre certaines difficultés d’ordre conceptuel, organisationnel et réglementaire.
En effet, nous pouvons citer les six points saillants suivants :
1) Normes comptables statiques en déphasage avec le référentiel IFRS dont les principes fondamentaux sont la prééminence de l’économique sur le juridique et la juste valeur.
2) Faiblesse du législateur comptable face au législateur fiscal. L’antagonisme entre la comptabilité et la fiscalité au Maroc entrave l’évolution vers un référentiel international. Jusqu’à présent, c’est l’orientation fiscale qui a eu le dessus sur l’information financière.
3) Les instances de réglementation comptable doivent être réorganisées et dotées d’un pouvoir réel afin de :
– réfléchir sur l’évolution de la comptabilité en tant qu’outil d’information de l’investisseur ;
– adapter les normes en fonction de la taille de l’entreprise.
4) Faible évolution des marchés malgré les réformes entreprises dans les dix dernières années pour mettre en place des outils de normalisation, de contrôle et de régulation de l’information financière en direction des marchés financiers.
5) Unicité de notre référentiel comptable applicable aux entreprises de grande taille au même titre que les PME et TPE.
6) Difficulté d’instaurer une culture de transparence financière dans le tissu économique marocain avec l’existence de l’informel, y compris dans les structures dites organisées. Il faut d’abord inciter tous les opérateurs économiques à souscrire aux réformes entreprises sur le plan national avant d’aller vers un référentiel international. Des actions entamées par le patronat pour labelliser les entreprises socialement responsables et introduire un code de bonne gouvernance s’inscrivent dans cette logique
Une autre difficulté que le normalisateur ne peut éviter et qui risque de compliquer la communication envers les investisseurs, que nous avons mentionnée ci-dessus : pendant un certain temps, il y aura au Maroc des groupes en IFRS et des groupes non cotés. Les premiers présenteront leurs comptes consolidés tandis que les seconds présenteront uniquement des comptes sociaux aux normes marocaines. C’est une difficulté que le normalisateur doit intégrer.
Plusieurs normes IAS/IFRS laissent anticiper une plus forte volatilité des bilans et des résultats en IAS/IFRS qu’en normes marocaines:
– la valorisation des actifs financiers et des immobilisations à leur juste valeur ;
– les conditions sévères pour la passation des provisions (IAS 37) ;
– la définition stricte de la notion d’élément extraordinaire (IAS 8).
Les dirigeants pourraient être incités à viser court et à tenir exagérément compte de l’impact du court terme dans leurs décisions, au détriment de la mobilisation sur les choix stratégiques de moyen ou long terme, seuls à même d’être durablement créateurs de valeur.
La question des conséquences des normes IAS/IFRS sur la gestion de l’entreprise se pose avec plus d’acuité pour les PME, qui ne disposent pas nécessairement des moyens financiers ou humains pour réussir ce changement et opérer des retraitements en vue d’élaborer des outils de gestion financière internes.
Les différences d’impact selon la taille des entreprises nous mènent aux deux remarques suivantes :
1) Les entreprises cotées qui ont déjà publié leurs comptes sous le référentiel IFRS (Ona, Maroc Telecom..) ont dû engager des coûts importants (plusieurs millions de dirhams) pour gérer la complexité du passage aux IAS/IFRS.
Certaines procédures nouvelles ont dû être introduites (ou certaines procédures anciennes modifiées) dans toutes les fonctions, y compris transverses, afin d’alimenter le travail des services comptables par des informations opérationnelles (informations sur la dépréciation des stocks, sur la valeur de revente d’un actif sur le marché, sur la durée d’utilisation des composants d’un investissement…).
Or, structurellement plus petites, les entreprises non cotées ne disposent pas de la même surface financière ni des mêmes ressources internes pour piloter dans les meilleures conditions la mise en place de cet ambitieux projet d’entreprise.
Les différentes parties prenantes des PME ne semblent aujourd’hui pas exprimer d’attente forte à l’égard d’une comptabilité en IAS/IFRS contrairement aux investisseurs impliqués dans le capital des grandes entreprises.
2) L’application du référentiel IAS aux sociétés cotées fait craindre à certains analystes une volatilité des marchés financiers en raison de la volatilité potentielle des comptes évalués en juste valeur. Si les entreprises non cotées échappent naturellement à ce risque, elles pourraient néanmoins être happées par ces normes à travers les exigences de leurs partenaires financiers privilégiés.
Dans la pratique, certaines normes sont plus difficiles à appliquer :
– l’application de l’approche par composants et de la revue des durées d’utilité pour les immobilisations (IAS 16) ;
– la mise en place des normes IAS 32/39 et IFRS 7 relatives aux instruments financiers (actifs et passifs financiers et instruments de couverture) ;
– le calcul des engagements vis-à-vis du personnel qui implique le recours à des études actuarielles pour déterminer le niveau d’engagement de l’entreprise.
En dehors de ces 2 points, d’autres difficultés doivent être correctement appréhendées.
En premier lieu, la complexité du référentiel de normes ;
L’identification des différences potentielles entre normes IAS et principes utilisés jusque-là ;
La collecte des informations nécessaires, surtout dans les groupes comportant beaucoup de filiales, notamment certaines basées à l’étranger ;
La crainte des responsables financiers de ne pas être en mesure de préparer un tel projet (surcharge des agendas, lourdeur informatique) ;
La mise en place d’un processus qui n’est pas encore intégralement maîtrisé et dont on ne mesure pas complètement les effets ;
Le coût de la conversion des normes marocaines aux normes IFRS. L’entreprise doit engager des frais pour le conseil et l’assistance, le caractère ponctuel de l’implémentation exige le recours à des spécialistes externes. Par ailleurs, des frais sont nécessaires pour l’adaptation des systèmes informatiques, la formation des salariés, la formation des filiales à l’étranger. L’appropriation par le personnel de cette nouvelle culture et technique est la clé de la réussite.
S’il fallait garder en tête quelques recommandations, la première c’est qu’il s’agit d’abord d’un projet d’entreprise et non pas d’une affaire de comptables.
Pour cela, il faut adopter une approche méthodologique en trois étapes avec un projet porté au plus haut niveau :
– une phase d’état des lieux avec une implication forte de l’expert comptable, afin de déterminer les modifications à opérer ;
– une phase d’organisation inhérente à la gestion de projets complexes ;
– enfin, l’élaboration et la mise en œuvre des plans d’action portées par toutes les équipes de l’entreprise.
La mise en place des IFRS est d’abord le fruit de l’intelligence collective portée par le top management au service de la transparence et de la normalisation de l’information comptable et financière de nos entreprises performantes publiques, privées ouvertes sur l’international, gérant ou faisant appel public à l’épargne.