SUIVEZ-NOUS

Idées

Les "Big" de la distribution : du grabuge dans les rayons

Chronique de Larabi Jaïdi.

Publié le


Mis à jour le

rub 16523

Grâce à une politique de prix bas, la grande distribution représente pour les pouvoirs publics un allié dans la lutte contre l’inflation. Largement chouchoutée depuis sa création, elle est, aujourd’hui, sur la sellette. Au centre du conflit : le partage de la valeur ajoutée et des marges avec les entreprises. En fait, la tension entre les grandes surfaces et leurs fournisseurs n’est pas nouvelle. Jusqu’à leur montée en puissance, le rapport de force a été en faveur des entreprises. Ces dernières ont profité de l’essor des marques commerciales et de la publicité. Le détaillant isolé, obligé de proposer les marques demandées par le consommateur, était contraint de coopérer avec son fournisseur. Les entreprises, notamment les agroalimentaires, disposaient ainsi d’un véritable fonds de commerce. En assurant la diffusion de masse des produits, les mégacentrales d’achat se sont permis de réduire les marges de commercialisation. Elles sont ainsi devenues assez puissantes pour exercer une pression sur leurs fournisseurs. La pression a ainsi atteint des proportions imposantes et les dérives se sont multipliées : les distributeurs facturent tout. Au cœur du problème, on trouve les contrats de coopération commerciale entre distributeurs et fournisseurs. La coopération commerciale constitue pour les enseignes une superbe rente de situation : elle est acquise avant même la vente des produits et quel que soit son résultat. Et compte tenu du rationnement des rayons, les fournisseurs sont bien obligés d’en passer par là. Ces pratiques contribuent à l’accélération de la concentration de la distribution. Plus elles étendent leurs parts de marché, plus elles sont incontournables et plus elles peuvent faire pression sur les industriels et donc gagner de l’argent pour financer leur développement. Bref, jamais les Marjane, Assouak Essalam, Label’Vie n’ont été aussi puissants, avec des chiffres d’affaires qui s’envolent. Pour la PME, la grande distribution, sous prétexte de vendre moins cher, «rackette» les producteurs au-delà de l’acceptable. Pour accéder aux rayons d’un distributeur, il faut payer (référencement). Payer encore pour participer aux «anniversaires», promotions et autres animations. Payer toujours pour être bien vu, pour financer les travaux de modernisation du distributeur ou…. concourir aux bénéfices souhaités par ses actionnaires. D’ici peu ce ne seront plus seulement les PME qui souffriront et monteront au créneau. Même les grandes entreprises, du moins celles qui ne sont pas liées à des grands distributeurs, se font beaucoup de soucis. Car les moyens de pression ne manquent pas. Le déréférencement massif de la marque -«l’arme nucléaire», comme dit un industriel- est rare, car on ne fait pas disparaître d’un rayon une référence pour le client. Mais les autres mesures de rétorsion sont nombreuses. Accusée de squeezer l’entreprise, la grande distribution est-elle cet ogre qui dévore tout sur son passage?  N’est-elle pas un vecteur d’amélioration du management de l’entreprise, de sa productivité…. Tout cela prête à discussion. Quelques méthodes utilisées par la grande distribution sont peut-être exagérées, mais d’autres, hélas, sont tristement vraies. A laisser faire la «main invisible» du marché, on risque plus la loi de la jungle que l’optimum économique. L’équilibre est délicat à trouver. Il faut le chercher avant que les couteaux ne soient tirés. Face à une tension qui peut dégénérer en guerre, les pouvoirs publics sont encore dans une posture d’expectative. L’équation n’est pas simple : comment tenir compte des doléances des PME, sans casser la dynamique de la distribution ? Comment simplifier les obligations pesant sur les PME et renforcer les positions des associations de détaillants face aux grands groupes de distribution ? Comment veiller à rééquilibrer le rapport de force entre producteurs et distributeurs en faveur des fournisseurs (industriels, petites et moyennes entreprises et agriculteurs) et des petits commerçants ? Si la grande distribution est génératrice d’effets collectifs indésirables, s’il faut, pour cette raison, fixer des règles, la nature de ces règles souhaitables demeure remarquablement floue. Le gel des implantations commerciales ? Evidemment non ! Le maillage du territoire est loin d’être achevé. Ne faudrait-il pas, par contre, penser à la production d’une nouvelle loi ? Une loi sur «la loyauté et l’équilibre des relations commerciales». A l’image de celles en vigueur dans les pays qui nous ont précédés dans la régulation des relations entre producteurs et distributeurs. Une loi qui viserait à réduire la dépendance des producteurs face à la grande distribution. Une loi qui sanctionnerait d’éventuels comportements prédateurs des grandes surfaces et limiterait les pratiques abusives des opérateurs qui exploitent les lacunes des législations. Une loi qui permettrait d’améliorer la transparence des transactions : les rabais, les remises ou ristournes, la facturation, les délais de paiement. Un texte qui contrôlerait les dérives des négociations commerciales et les moraliserait. Les rapports entre les entreprises et les distributeurs ne seront pas un long fleuve tranquille. Le feuilleton de ces relations nous tiendra sans doute en haleine encore longtemps. Ces relations entre distributeurs et fournisseurs seront, à côté des retraites ou de l’Assurance maladie obligatoire, une de ces valeurs sûres du débat public dans les prochaines années. A quand des Assises sur la distribution ? A quand les parlementaires viendraient à jeter leur pavé dans le chariot des distributeurs ?