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Idées

L’épineuse question du financement de l’agriculture

Les opérations de rééchelonnement ou d’annulation des dettes partent
de la volonté louable de réduire
le surendettement des agriculteurs. Elles correspondent, surtout, à un nettoyage de façade
qui ne fait que décaler
le problème dans le temps.

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La perspective d’annuler les dettes de
100 000 exploitants agricoles en difficulté a fait beaucoup de bruit dans les médias. Le projet présenté par le ministre de l’Agriculture au conseil de surveillance du Crédit agricole est assurément une mesure populaire en ces temps de sécheresse. Mais cette mesure ne portera ses fruits que si elle est accompagnée de décisions clarifiant le rôle de l’institution bancaire dans le financement de l’agriculture. Or, l’Etat n’a pas encore finalisé sa réflexion sur cette épineuse question. Si le statut de l’institution, son orientation de «banque rurale de proximité» ont été confirmés, il reste à trouver des solutions appropriées pour la fraction de l’agriculture difficilement bancable. Les opérations de rééchelonnement ou d’annulation des dettes partent du principe louable de réduire le surendettement des agriculteurs. Elles correspondent, surtout, à un nettoyage de façade qui ne fait que décaler le problème dans le temps.
La petite et moyenne agriculture, ainsi que les petites activités rurales non agricoles sont dominantes dans le mode rural. Quelques chiffres suffisent à montrer l’excessif morcellement de ces activités. Sur les 1,5 million d’exploitations, 70% ont moins de 5 ha. On compte 6,4 parcelles par exploitation et une superficie moyenne par parcelle de 0,91 ha. Les terres irriguées ne couvrent que 14,3% de la surface agricole utile. Les crédits bancaires assurent moins de 17% des besoins de financement, dont 3% proviennent des banques commerciales, le reste étant mobilisé par le Crédit agricole. Récemment mis en place, le système de micro-crédit s’apparente plus à un soutien social. Ces caractéristiques constituent un handicap pour les agriculteurs désireux d’emprunter en vue de réaliser les investissements nécessaires à une mise en valeur rationnelle des terres. Dans le contexte d’une activité en voie de libéralisation, l’Etat se doit d’assurer un environnement favorable aux agriculteurs, notamment par l’accès au crédit. De son côté, le Crédit agricole ne peut rester indifférent à la majeure partie des exploitations. Elles constituent une partie de sa clientèle future. En conséquence, la nécessité d’établir une convention entre l’Etat et le Crédit agricole s’impose. Elle se justifie par le fait que la clientèle de la petite et moyenne agriculture est, pour l’essentiel, non rentable pour une banque. D’autre part, le Crédit agricole est assujetti à la loi bancaire ; il doit respecter les ratios prudentiels et ne pas compromettre sa crédibilité vis-à-vis des épargnants et bailleurs de fonds.
Jusqu’à présent, les efforts de sa réorganisation sont louables. Mais le contraste est saisissant. Malmenée par une nouvelle mauvaise année, l’agriculture traverse une passe difficile, avec ses corollaires inquiétants que sont la chute des revenus et le spectre de la désertification rurale. En regard, le Crédit agricole semble afficher une insolente santé. De là à conclure que la banque agricole pèche par manque d’audace, d’esprit d’entreprise, de solidarité, voire qu’elle «dériverait» et aurait trahi ses missions et l’esprit des origines, il n’ y a qu’un petit pas que quelques-uns n’hésitent pas à franchir. A force de vouloir devenir universelle, à force de chercher à se diversifier et à élargir ses clientèles, obsédée par la performance, la «banque verte» aurait-elle oublié qu’il existe encore des paysans, des champs, des étables et des vergers ? Non ! Prudence et référence obligée à ses origines paysannes, le Crédit agricole cultive sa différence. Il peut d’autant plus se le permettre que son assainissement financier au cours de ces dernières années, au moment même où la plupart des banques publiques ont été durement secouées, est réel. Non content d’avoir traversé les sécheresses successives, la mauvaise conjoncture et son cortège de défaillances, d’avoir bien supporté le durcissement de la concurrence, la «banque verte» en a également profité pour gagner des parts de marché. Une plus forte synergie avec l’Etat devrait lui permettre de poursuivre les efforts de redressement interne, de recouvrement des impayés des principaux débiteurs et, surtout, de mieux assurer sa mission de service public