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Idées

L’entreprise et le droit : réformer la loi ?

La révision du nouveau dispositif ne devrait maintenir que l’incrimination des seuls comportements intentionnels ou frauduleux et renvoyer, pour certains délits, au droit pénal général. Mais la mise en Å“uvre de la loi exigera une formation plus poussée des juges en matière de droit des affaires, et l’augmentation du nombre des experts comptables.

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Il y a presque dix ans, le droit marocain des sociétés a fait l’objet d’une refonte totale par la promulgation de deux lois : l’une sur les sociétés anonymes, l’autre sur les autres catégories de sociétés. Ces lois remplaçaient des textes désuets. Le nouveau cadre juridique des sociétés se présentait comme un instrument au service d’objectifs louables : la transparence, le renforcement de la protection des associés, l’amélioration de la structure de fonctionnement des organes d’administration, de gestion et de direction, la modernisation du droit des affaires. Ces progrès du dispositif législatif marocain n’en ont pas moins fait l’objet, dès leur promulgation, d’une vive controverse. Beaucoup de milieux furent réservés à l’égard de la loi relative aux sociétés anonymes. Ils ont mis en exergue la reprise de dispositions françaises répressives à l’excès, trop contraignantes sans pour autant être efficaces, la prolifération et la diversité des infractions. Ils considéraient que la nouvelle loi était inadaptée au contexte marocain, surtout dans ses dispositions pénales. Elle laissait peu de place à la liberté contractuelle.

L’une des caractéristiques de ces nouvelles lois est qu’elles mettent l’accent sur les sanctions prévues pour les dirigeants des sociétés en cas de non-conformité aux dispositions réglementaires. Certes, les délits en matière de droit des affaires ont toujours fait l’objet de sanctions prévues par trois catégories de textes. D’un côté le droit pénal général, qui punit certaines infractions tel l’abus de confiance ou l’escroquerie. D’un autre côté, les dispositions d’ordre pénal contenues dans les textes relatifs au droit des sociétés. Enfin, le droit pénal spécifique qui sanctionne des infractions commises dans des domaines particuliers ou qui sont liées à des législations spécifiques, telle la législation du travail, de la concurrence ou de l’informatique. Toutefois, la prolifération des références aux infractions et aux sanctions correspondantes est dans une certaine mesure problématique. Ainsi, à titre d’exemple, en prenant en considération l’ensemble des infractions à caractère pénal prévues par les nouvelles lois sur les sociétés, on dénombre 338 infractions, dont 172 contenues dans 48 articles pour les sociétés anonymes.

Du point de vue du législateur, cette exhaustivité s’expliquait par la volonté de codifier la plupart des obligations et de regrouper dans un seul texte l’essentiel des infractions pénales et leurs sanctions en ce qui concerne la constitution, la direction et l’administration de la société anonyme, ainsi que celles relatives aux assemblées générales, aux modifications du capital social et à la dissolution. Du point de vue des chefs d’entreprises, la responsabilisation des dirigeants des sociétés, tant à l’égard des associés qu’à l’égard des tiers, est une disposition fondamentale à consolider. Cependant, le risque serait que cette disposition soit utilisée pour alimenter les différends à caractère personnel. Le caractère familial des entreprises marocaines aurait dû conduire à l’adoption de dispositions moins contraignantes, tout en réformant les textes anciens dans le sens du renforcement des principes de la transparence et de la modernité. D’ailleurs, les opérateurs économiques ont «voté cette loi avec les pieds»: depuis la mise en vigueur de la loi sur les sociétés anonymes, ils ont préféré se tourner vers d’autres formes de sociétés, et notamment la société à responsabilité limitée qui, à leurs yeux, présente moins de contraintes, en particulier sur le plan des sanctions pénales.

Sans aucun doute, la révision du nouveau dispositif aidera à la codification des règles du jeu. En modifiant certains articles et en ne maintenant que l’incrimination des seuls comportements intentionnels ou frauduleux et en renvoyant pour certains délits au droit pénal général. Mais la question de la sanction de la responsabilité des dirigeants des sociétés restera toujours posée. En ce sens, la mise en œuvre de la loi exigera nécessairement une formation plus poussée des juges en matière de droit des affaires, et l’augmentation du nombre des experts comptables. Il ne faudrait pas perdre de vue que la pertinence d’une loi ne vaut que par les conditions de son application.