Idées
Le stéréotype qui tue
Un juif, c’est supposé avoir de l’argent,
et si lui n’en a pas, il y aura toujours quelqu’un
pour payer à sa place. Une rançon de 450 000 euros
a été demandée aux parents d’Ilan. Qui ne les avaient pas. Qui n’ont pas pu les avoir. Alors le jeune homme
est mort, victime du stéréotype qui tue.
Un jeune homme meurt sous la torture. Dans un pays en état de paix, dans une société jouissant de l’Etat de droit. Ilan Halimi était vendeur dans un magasin de téléphonie mobile. Dans la banlieue où il vivait, il n’était ni plus ni moins fortuné que les autres habitants du quartier. Sauf qu’il était juif. Et qu’«un juif, c’est riche». Ou du moins, ainsi pense le «gang des barbares» qui, pendant trois semaines, s’acharne sur lui jusqu’à le jeter, nu et agonisant, dans un terrain vague où il expire avant que des secours n’aient pu lui être portés. Cela se déroule en France, plongeant l’Hexagone dans l’effroi. Echaudés par l’affaire Marie Léonie(*), médias et politiques prennent leurs précautions avant de qualifier cet horrible fait divers.
Ce n’est qu’une semaine après que le corps d’Ilan Halimi ait été découvert que le caractère raciste du crime est mis en exergue. «Antisémitisme par amalgame», dira plus précisément Nicolas Sarkozy, le ministre de l’Intérieur, une fois connus les premiers résultats de l’enquête. La motivation de l’acte est d’abord crapuleuse. Le gang qui kidnappe Ilan Halimi et le séquestre pendant trois semaines agit pour de l’argent. Il n’en est pas à son coup d’essai. Six autres personnes ont, par le passé, fait l’objet de sa part de tentatives d’extorsion de fonds. Trois d’entre elles sont de confession juive. Pour les raisons évoquées plus haut. Un juif, c’est supposé avoir de l’argent, et si lui n’en a pas, il y aura toujours quelqu’un pour payer pour lui. Ce raisonnement a coûté la vie au jeune vendeur. Une rançon de 450 000 euros a été demandée à ses parents. Qui ne les avaient pas. Qui n’ont pas pu les avoir. L’exigence des ravisseurs a baissé sans pour autant que les proches d’Ilan ne soient parvenus à réunir la somme exigée. Alors le jeune homme est mort, victime du stéréotype qui tue.
On l’a enlevé pour de l’argent mais on s’est acharné sur lui parce qu’il était juif. Cela, il ne faut pas hésiter à le dire, à l’écrire et s’en indigner à voix haute, même si cela se déroule loin de chez nous. Dès lors que des «Nabil» et des «Samir» sont impliqués dans l’affaire, que la quasi-majorité des pitoyables membres de ce gang sont des musulmans, cela nous concerne. Un kidnapping à motivation crapuleuse qui se conclut par la mort de l’otage n’est pas fait d’exception. Par contre, se livrer à des actes de torture (80% du corps d’Ilan Halimi étaient couverts d’hématomes, de brûlures et de blessures à l’arme blanche) sur la victime jusqu’à la tuer à petit feu relève d’un inédit qui glace le sang.
Il y a là une dérive sur laquelle il est impossible de se taire. Une dérive qui a conduit des jeunes, guère plus âgés que leur victime, à faire preuve d’un sadisme inouï au point de perdre tout sens humain. Or qu’est-ce qui permet de glisser sur cette pente infernale sinon le fait de ne plus voir l’humain dans celui qui vous fait face ? Et qu’est-ce qui conduit en ne plus considérer l’autre comme le frère en humanité sinon cette abjection qui a pour nom racisme ? Il s’agit ici en l’occurrence d’un acte avéré d’antisémitisme. Aujourd’hui, la victime est juive. Hier ou demain, elle était ou sera musulmane. Mais – et c’est cela qu’il importe de retenir – ce n’est pas la couleur, la race ou la confession qui compte mais la stigmatisation à laquelle celles-ci peuvent donner lieu. Stigmatisation qui, ici, a mené à la mort. Le plus terrible dans l’affaire est que les acteurs de ce crime odieux – des noirs et des musulmans – sont eux-mêmes en première ligne en matière d’exposition au racisme. La compétition des victimes aboutit à la métamorphose de certaines de celles-ci en bourreaux !
Dès lors qu’il est question d’antisémitisme, le réflexe dans nos environnements est de considérer le fait avec beaucoup de circonspection. Au mieux, et pour les raisons que l’on connaît, quand on ne suspecte pas l’instrumentalisation, on s’estime non concerné. Pourtant, en l’occurrence et parce que cela se passe dans un pays comme la France où le face-à-face communautaire juifs-musulmans implique des jeunes d’origine marocaine, CELA NOUS CONCERNE ! Non seulement nous ne pouvons rester silencieux quand de tels événements se produisent mais il est de notre devoir de rebondir dessus pour nommer et dénoncer à chaque fois ce type de dérive. Ce qui se passe en Palestine ne peut, en aucune manière et à quelque degré que ce soit, justifier l’antisémitisme. Et il ne faut pas hésiter à parler d’antisémitisme quand il y a antisémitisme. Qu’on ne s’y trompe pas : en Europe aujourd’hui, les musulmans ne sont pas loin de connaître un sort similaire à celui des juifs il y a deux siècles. Il suffit pour cela de comparer les caricatures danoises du Prophète à celles qui circulaient sur le juif dans les années 30. Comme par hasard, on y retrouve le même nez busqué, la même expression «fanatique» ! On sait où cela a mené…
Un jeune homme est mort, victime du stéréotype qui tue. Stigmatiser une personne du fait de sa confession, de sa race ou de sa couleur n’est jamais un acte gratuit. Il faut le dire et le redire encore quitte à être redondant. Certaines répétitions ont caractère de devoir.
