Idées
Le secteur informel est une opportunité
Il n’y a pas un secteur informel mais des secteurs informels. Celui des entreprises qui fraudent et portent préjudice à l’économie et celui des petits métiers qui créent de la richesse et à qui l’on doit offrir les moyens d’intégrer la légalité.
Depuis quelque temps foisonnent un certain nombre d’études sur le poids du secteur informel au Maroc et sous d’autres cieux. Il serait pertinent, avant d’aller plus loin, d’en cerner les contours. Selon le bon vieux Petit Robert, le secteur informel est ce qui n’est pas organisé de façon formelle. Que contient ce réceptacle ?
On pense à tort qu’il se conjugue au singulier alors que le secteur informel est pluriel. Peut-on mettre au même niveau l’entreprise structurée, qui définit un rayon d’action au sein duquel le bénéfice est pratiquement égal à son chiffre d’affaires, le marchand ambulant qui a fréquenté la rue pour seule école et l’entre-deux constitué par ces «no man’s land» que sont les «joutia».
Il y a ceux qui choisissent l’informel, le cultivent, et ceux qui le subissent et en vivent
Le secteur informel est une opportunité si, et seulement si, nous ne mélangeons pas les genres et n’appliquons pas les mêmes recettes aux différents acteurs dont le seul dénominateur commun est de se situer en marge du droit établi. Certains l’ont choisi et le cultivent, d’autres le subissent, font contre mauvaise fortune bon cœur.
Que dire d’un patron, quelle que soit son activité, qui décide que la collectivité ne lui rapporte rien. Il légifère seul et considère que x% de ses revenus sont à mettre directement in the pocket. Toutes les fausses raisons sont valables : une administration tatillonne, une justice qui se cherche, des routes dans un état déplorable, un ramassage des ordures à plusieurs vitesses… Et la liste est longue des justifications.
Nous pouvons faire le parallèle avec le client d’un supermarché qui sortirait avec un caddie chargé à ras bord et penserait que cela lui donne le droit de subtiliser une lame de rasoir ou un rouge à lèvres.
Arrêtons de croire que ne payer qu’une partie de ses impôts est suffisant parce que le voisin, lui, ne paie rien. Ce sport national qui consiste à éluder l’impôt est vécu comme un acte «légitime» et non contraire aux lois, divines notamment.
Il faut renforcer le contrôle et les sanctions mais aussi communiquer avec un message clair
Ici, l’exemplarité des dirigeants et une communication à travers des témoignages seront un levier essentiel pour faire tomber ce pan de l’informel. Le message doit être clair : «Tout déclarer, c’est un investissement d’avenir, pour nos enfants et pour nous», «Payer ses impôts doit être appréhendé comme un plaisir et la clé pour faire valoir ses droits».
Ces actions doivent être menées en parallèle avec un renforcement du contrôle et des sanctions pour ceux qui s’entêtent à vouloir penser que ces droits indus sont acquis pour la vie. C’est cet informel qui doit être combattu avec force. Son apparence de légalité nuit à la concurrence et crée un sentiment d’injustice et un ras-le-bol chez cette minorité qui, si elle optimise ses résultats, n’ira jamais frauder. Etre un bon citoyen, c’est aussi être une locomotive pour ses pairs, ses collaborateurs et toutes les parties prenantes, sur tous les volets, y compris fiscal.
L’entrepreneur doit regarder au-delà du court terme et écarter ses œillères. Les solutions de progrès existent, il faut juste les cueillir avec l’aide, notamment, de partenaires extérieurs et, surtout, en acceptant de changer de culture du management.
Une chose que beaucoup de gens oublient : il faut donner pour recevoir. Et la vraie richesse, c’est celle qui est pérenne et acquise en toute légalité.
Revenons à nos marchands ambulants. Leur force et leur mérite est d’avoir refusé la fatalité et l’immobilisme, ils ont cru à la vie, ils nous donnent une leçon d’humilité et de courage. Leur soif de vivre a fait d’eux des surdoués de la débrouille. La chaîne 2M pourrait lancer dans la foulée de l’émission «Recherche de jeunes talents chanteurs», «Recherche de talents entrepreneurs itinérants», dans ce monde dur et combien humain de la micro-entreprise.
L’école n’est pour eux qu’une chimère, et, très souvent, ils n’en ont vu que l’enceinte. La rue, avec sa dimension de lieu d’expérimentation, a forgé leur personnalité et accueilli leur projet de jeune entrepreneur. Nous devons aller à leur rencontre et capitaliser leur expérience pour en retenir les bonnes pratiques. Ces jeunes ont besoin d’un coup de pouce et de reconnaissance pour valoriser leur statut. La dernière étude sur la région MENA fait ressortir cette vérité amère : 50% de nos jeunes veulent quitter cette région.
C’est un signe on ne peut plus fort de désespoir et un camouflet pour tous nos décideurs. Ces jeunes sont la note d’espoir et notre avenir. N’ayons pas peur de nous rapprocher d’eux, la seule maladie qu’ils peuvent nous transmettre, c’est leur rage de réussir… leur vie.
Nous pourrons agir vite et être des acteurs d’efficacité pour consolider cette formation d’entrepreneur apprise sur le tas par des actes sains et dont le coût serait marginal eu égard aux enjeux. Au préalable, regardons sans préjugés ces entrepreneurs de la rue qui ont eu des idées parfois géniales et ont refusé de tendre la main.
En parallèle, nous devons leur donner leur droit : une couverture sociale (l’AMO est un élément de réponse) et l’accès à un logement décent. Par ailleurs, le concept limité de la solidarité, utilisé pour l’octroi du micro-crédit (testé à Meknès), peut être vulgarisé pour l’acquisition de logements».
Ces droits minimum acquis, l’entrepreneur itinérant s’informera certainement avec attention de ses obligations et s’engagera à les respecter. Il aura touché du doigt ses nouveaux acquis et sera heureux de se retrouver avec un statut social envié.
Il est évident qu’il faudra continuer à encourager le développement du micro-crédit pour financer les projets de ces exclus du système bancaire.
Le micro-crédit est un levier formidable d’intégration de la femme. La preuve, 75% des micros crédits accordés vont d’abord aux femmes.
Cette politique de proximité ne peut que réussir et sera un accélérateur pour faire basculer de façon rapide, volontaire et permanente, ces entrepreneurs oubliés vers le secteur formel.
Il faudra aussi penser à les amener vers la SARL à 1 DH de capital (législateur êtes-vous là ?). Cette structure préservera mieux leur patrimoine et recevra plus facilement d’autres associés, voie royale pour sortir de l’isolement, tout le monde le sait : il n’y pas meilleur croyant qu’un converti.
Pour l’entre-deux, les commerçants de la joutia et assimilés confondent être assujettis au régime fiscal forfaitaire et déclarer des bases nulles en matière de charges et de produits.
En effet, une seule pratique fait loi: c’est réaliser les opérations en espèces, supprimer le terme «impôts» de son vocabulaire, avoir pour seule retraite sa santé et pour seule assurance un grigri.
Là aussi, prendre quelques entrepreneurs volontaires qui serviraient de locomotive, les faire adhérer à une démarche entrepreunariale plaçant l’homme au centre, leur rappeler que notre société est en train de changer, qu’elle a besoin d’eux pour un développement mieux partagé où leurs intérêts et ceux de leurs enfants seront préservés.
La mise à niveau de l’entrepreneur et de l’entreprise doit d’abord être celle de la très petite entreprise, le cœur de notre tissu socio-économique des secteurs formel et aussi informel. Et il ne faut surtout pas, sur ce volet, croire que la petite ou micro-entreprise est une grande entreprise en miniature.
L’informel est une opportunité. Prenons du secteur informel la substance entrepreunariale et donnons du sens à nos jeunes et moins jeunes pour leur permettre de s’intégrer volontairement et harmonieusement dans le secteur formel
C’est l’informel créé par des entreprises organisées qui tentent d’échapper à leurs obligations que l’on doit combattre avec force. Son apparence de légalité nuit à
la concurrence et crée un sentiment d’injustice et un ras-le-bol chez cette minorité qui, si elle optimise ses résultats, ne choisira jamais de frauder.
Pour ces marchands ambulants qui, chaque jour, se battent pour s’assurer une subsistance dans la dignité, il faudra créer la SARL à 1 DH
de capital social.