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Idées

Le rire de la foi

A propos du rire, et pour prendre le contrepied de nos ayatollahs,
on pourrait citer Harvey Fox qui, dans «La Fête des fous», écrivait : «Quand il est véritable, le rire est la voix de la foi.

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LU Il est des choses que l’on sait mais que l’on ne peut définir. Qu’est-ce que le temps, la poésie, l’amour ou l’humour ? Penseurs et philosophes se sont très souvent interrogés à propos de ces notions et une littérature dense leur a été consacrée. C’est à l’humour que Le Magazine Littéraire de ce mois de juillet a consacré son dossier mensuel. Un mot d’abord sur cette excellente publication dédiée à la littérature et à la pensée et qui a revu sa maquette et changé son directeur de la rédaction.

On peut aimer l’innovation du concept, le look moderne, comme disent les gens branchés, la maquette aérée et l’introduction systématique de la couleur. Les anciens lecteurs nostalgiques des numéros d’antan introduits par la Chronique du Capricorne, sous la plume caustique du regretté Jean Jacques Brochier, pourraient pousser quelques soupirs à la lecture des éditos de Joseph Macé Scaron, actuel directeur de la rédaction.

D’autres regretteront les succulentes chroniques de l’écrivain catalan Enrique Vila-Matas et les Antipodes de Simon Leys, érudites, intelligentes et plaisantes à lire. Mais, diront les réalistes, le monde change, les magazines aussi. Ouais. Il reste à dire malgré tout que les dossiers thématiques, qui constituent la valeur ajoutée du magazine, demeurent et c’est tant mieux. Alors, l’humour, qu’est-ce que cela veut dire ? Quelques écrivains et théoriciens plus ou moins connus se sont exprimés sous la férule de Frédéric Ferney, critique d’art, journaliste au Figaro et présentateur de l’émission littéraire «Le bateau livre» (diffusée sur la 5, chaîne française du savoir; mais on dit que ça tangue pour lui et que son bateau a fait naufrage.

Et ça ne le fait pas rire, puisqu’il a adressé une lettre ouverte à Sarkozy pour se plaindre du peu de cas que l’on fait des choses du livre). Les intervenants, donc, dans ce dossier consacré à l’humour, ont passé en revue, chacun selon sa spécialité, divers aspects de cette notion : religieux, historique, littéraire et sémantique. Au-delà de la dimension philosophique qui renvoie à toutes sortes de concepts qui ne sont ni rigolos ni même digestes, l’article relatif au rire dans les religions monothéistes et même dans certaines traditions spirituelles d’Asie comme le bouddhisme est de loin le plus intéressant.

Son auteur, Jean-François Colosimo, essayiste et théologien, précise dès l’introduction, citant Umberto Ecco, que «le Moyen-Age des grandes scolastiques juives, chrétiennes, islamiques, aurait perdu le second des traités poétiques d’Aristote portant sur la comédie. Avant de finir dans les flammes, le manuscrit, enduit de poison par Jorge de Burgos, le bibliothécaire du Nom de la Rose, aurait ainsi voué à une mort justement convulsive les chercheurs d’hilarité et autres moqueurs d’éternité(…)»

ENTENDU Juste après la lecture dans le train du dossier sur l’humour, et notamment ce texte sur le rire et la religion, entendu sur un poste radio déglingué d’un petit taxi poussif et captant une de ces nouvelles radios, zaâma, sur la FM, une voix juvénile répondant aux questions des auditeurs en ce vendredi saint du mois caniculaire de juillet. Longue phrase, on vous l’accorde, mais on va la faire courte pour la suite. «A ceux qui pensent que s’amuser, danser et chanter, c’est bien, il faut les convaincre tout doucement.

Il faut leur dire d’en faire moins et lorsqu’ils en feront moins, il faudra leur dire de s’amuser encore moins. Et un jour, ils cesseront et reviendront à Allah….» On ne sait pas qui a autorisé cette voix à parler au nom d’Allah, mais il semble que c’est la nouvelle tendance des prêcheurs New-age, une génération spontanée née de la bande FM du religieux light. Comment dès lors ne pas penser à la théorie d’Umberto Ecco sur le rire confisquée par le bibliothécaire du Nom de la Rose ? Une conversation se déclenche entre le chauffeur du taxi et un client (car on n’est jamais le seul client dans un taxi au Maroc) : «Moi, ce que je ne comprends pas, c’est les actrices mariées dans la vie qui jouent avec des acteurs qui ne sont pas leurs maris.

Bon, quand c’est maricane, francesse, sbaniole, oudakchi lakhor, machi ch’ghoulna, oualakine asahbi elmarroquiate : élla !» En traduction accélérée pour les francophones monolingues: «les autres actrices, américaines, françaises, espagnoles et autres, on s’en fout, mais les Marocaines, non !». Le taxi driver n’en pensait pas moins tout en se gaussant des propos de la voix juvénile sur la bande FM.
VU Qu’est-ce que vous voulez que l’on voie après avoir lu et entendu ce qui précède ? Circulez, il n’ y a rien à voir ! Ou, peut-être, la facétie innocente de cet enfant du quartier populaire de Aïn Sebâa qui a feint de traverser devant le taxi avant de s’arrêter net en éclatant d’un rire contagieux qui a atteint, par miracle, le chauffeur remonté et son interlocuteur enflammé.

A la voix de la bande FM et à d’autres bandes de crieurs dont la haute fréquence est un mauvais signe de ces temps sans rire, cette phrase, courte et lucide : «Quand il est véritable, le rire est la voix de la foi.» (Citation, relevée dans le dossier sus-mentionné, de Harvey Cox, auteur de La fête des fous(*).

* Essai théologique sur la notion de fête et de fantaisie ; éd. Seuil.