Idées
Le pouvoir, ce poison
Aujourd’hui, pour rassurer les chancelleries occidentales et gagner les faveurs de la bourgeoisie moderniste, les figures de proue du PJD peuvent modérer leurs discours et promettre de ne pas s’attaquer aux libertés individuelles, cela n’enlève pas au projet de société porté par les islamistes sa dimension réactionnaire et sa tendance liberticide.

Après l’Istiqlal dont l’accord de principe a été donné, on attendait de connaître la décision de l’USFP et du PPS. Pour le premier, le suspens aura finalement été de courte durée. Dimanche 4 décembre, le conseil national de l’Union socialiste des forces populaires a tranché ; l’USFP retourne à l’opposition. L’offre de Monsieur Abdelillah Benkirane a été déclinée, réduisant à néant l’espoir du PJD de gouverner avec la Koutla dans son ensemble. Alors que son bureau politique était divisé sur la question, un sursaut de dignité a fait faire au grand parti de la gauche marocaine le seul choix cohérent avec son histoire et son positionnement idéologique. Reste maintenant à connaître la décision du PPS. A l’heure où nous mettions sous presse, celle-ci n’était pas connue. Bien avant que les urnes n’aient parlé, le secrétaire général, Nabil Benabdallah, n’avait cependant pas fait mystère de sa disposition à participer à un gouvernement coiffé par le PJD. Le bureau politique étant largement derrière lui, c’est au niveau de la base du parti que les résistances se sont exprimées. Seront-elles ou auront-elles été entendues pour ramener Nabil et ses «camarades» à un peu plus de cohérence ? A se souvenir des valeurs et des principes dont ils sont censés être porteurs. Dans une déclaration récente faite à un journal français, le secrétaire général du PPS affirmait que «ce n’est pas une décision simple à prendre entre ceux qui restent sur l’incompatibilité entre la gauche et les islamistes et ceux qui pensent qu’il y a des choses en commun comme la lutte contre la corruption». «Des choses en commun comme la lutte contre la corruption» …de tels arguments laissent pantois. Ainsi donc le PJD et le PPS auraient des choses en commun ? Voilà qui est nouveau. Qu’en aurait pensé Simon Lévy que le Maroc a enterré ce dimanche 4 novembre et en qui le PPS a perdu l’un de ses plus grands militants ? «Sa relation avec moi n’était pas “évidente” mais c’était un homme authentique», reconnaissait le nouveau chef de gouvernement lors de ces funérailles auxquelles il s’est fait un devoir d’assister en personne. Cette présence de Benkirane au cimetière juif de Casablanca était un geste appréciable mais il ne gomme pas la réalité.
Et cette réalité-là, le leader islamiste l’exprimait sans ambiguïté, pas plus tard que cet été, en s’élevant avec force contre le principe d’une inscription de la liberté de conscience dans la nouvelle Constitution. Sa sortie tempétueuse sur le sujet, ses menaces d’appeler à voter non eurent l’effet escompté : la référence à la liberté de conscience, présente dans le texte qui s’apprêtait à être validé, a été retirée. Alors, oui, aujourd’hui, pour rassurer les chancelleries occidentales et gagner les faveurs de la bourgeoisie moderniste, les figures de proue du PJD peuvent modérer leurs discours et promettre de ne pas s’attaquer aux libertés individuelles, cela n’enlève pas au projet de société porté par les islamistes sa dimension réactionnaire et sa tendance liberticide.
Les membres du bureau politique du PPS, avec à leur tête son secrétaire général, ont-ils donc la mémoire si courte ? Ont-ils oublié, pour ne rappeler que cet épisode, le combat féroce mené par. Benkirane et ses «frères» contre le «Plan d’intégration de la femme» porté à l’époque par le courageux Saïd Saâdi (PPS) quand il était ministre des affaires sociales et de la famille sous le gouvernement Youssoufi ? Comment certains d’entre eux, le SG à leur tête, peuvent-ils simplement concevoir de s’allier aux islamistes en avançant des prétextes aussi fallacieux que la lutte contre la corruption ! Passez-moi l’expression mais c’est vraiment du n’importe quoi ! Il reste à espérer que la décision de l’USFP de passer à l’opposition aura (ou aura eu) un effet d’entraînement sur nos anciens «cocos». Sinon, ce sera vraiment à désespérer de tout. On sait le pouvoir, un poison pernicieux quand on a eu le malheur d’y goûter. Mais, de là à se renier pour occuper des strapontins, ce serait tout juste fou. Maintenant, à l’heure où nous mettions sous presse, la décision du PPS n’était pas encore connue. Tablons que le bon sens l’emportera et que les représentants de la gauche marocaine vont nous permettre, à nouveau, de croire en eux.
