Idées
Le Partenariat transatlantique : une incidence mondiale
Les négociations entre les USA et l’UE sur le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement ont été lancées. Les deux géants économiques se sont fixé l’objectif ambitieux de les clôturer d’ici fin 2014.

Les négociations entre les États-Unis et l’Union européenne sur le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) ont été lancées. Les deux géants économiques se sont fixé l’objectif ambitieux de les clôturer d’ici fin 2014. S’il aboutit, le TTIP, fort de près de 820 millions de consommateurs, sera le plus important accord de libre-échange jamais conclu, puisqu’il couvrira près de 50% de la production économique mondiale, 30% du commerce international et 20% des investissements directs étrangers. Mais les écueils seront nombreux, et un des enjeux est d’observer comment les deux grandes puissances libérales entendent défendre leurs intérêts réciproques.
La portée du projet est vaste. Le TTIP est censé supprimer toutes les règles tarifaires et réduire les barrières non tarifaires y compris dans l’agriculture, élargir l’accès au marché du secteur des services, apporter une meilleure harmonisation de la réglementation, renforcer la protection de la propriété intellectuelle, limiter les subventions aux entreprises publiques, entre autres. Mais, en dehors de ces secteurs protégés, les barrières douanières sont déjà très faibles de part et d’autre de l’Atlantique : en dessous de 3% en moyenne. Les bénéfices provenant de la poursuite de leur réduction seraient eux-mêmes modestes. Les Européens vont néanmoins tenter d’obtenir la suppression de pics tarifaires sur certains produits (textile et habillement, certains produits agro-alimentaires tels le fromage et les fruits et légumes). Les tractations devraient davantage se concentrer sur les barrières réglementaires, à savoir les normes exigées pour autoriser l’entrée dans les marchés respectifs.
L’enjeu est de faire accepter à la partie adverse ses propres priorités. Les négociateurs des deux parties savent quelles sont les lignes rouges à ne pas franchir. Les Européens opposeront aux Américains trois fins de non-recevoir. Ainsi, les «services audiovisuels» seront apparemment exclus des négociations. Un autre point concerne les services publics : une libéralisation des secteurs de la santé ou encore de l’éducation ne devrait ainsi pas être à l’ordre du jour. Le troisième point non-négociable pour les Européens concerne les éventuelles sanctions liées à la protection de la propriété intellectuelle. En clair, l’Europe ne veut pas que le traité de libre-échange se transforme en un traité de lutte contre la contrefaçon qui freinerait le développement des médicaments génériques et limiterait la liberté des internautes sous couvert de lutte contre le piratage de films. Du côté américain, les Etats-Unis veulent exclure les services financiers dans la négociation de l’accord. L’administration Obama redoute qu’une harmonisation des normes bancaires transatlantiques ne conduise à une dilution de la réglementation américaine, très stricte. Le Trésor américain souhaite que la coopération réglementaire financière et prudentielle puisse continuer dans le cadre des forums internationaux existants et appropriés. Les Etats-Unis souhaiteraient aussi exporter leur bœuf aux hormones ou des produits OGM plus facilement. L’UE s’y oppose. Les Etats-Unis pourraient enfin se cramponner à leur législation sur les marchés publics, qui donne aux PME américaines la priorité pour certains marchés publics. Autre point d’achoppement potentiel : le conflit entre les deux partenaires sur les aides publiques notamment aux deux géants de l’aéronautique Boeing et Airbus.
Le chiffrage des bénéfices que pourrait produire l’accord pour les deux parties a montré que le gain de PIB estimé n’est pas substantiel, il devrait être entre 0,3% et 0,5% pour l’Europe, entre 0,2% et 0,4% pour les Etats-Unis. Toutefois, le TTIP devrait injecter chaque année 119 milliards d’euros dans l’économie européenne et 95 milliards dans celle des États-Unis. Au delà des chiffres, le projet a une signification politique majeure : il pourrait redresser les positions déclinantes de l’Amérique et de l’Europe dans le monde.
Pendant ce temps, le reste du monde se demande de quelle manière le TTIP aura une incidence sur lui. Car cet accord bilatéral pourrait avoir une portée multilatérale s’il réussit à donner une impulsion décisive pour ranimer les négociations de libre-échange mondiales du moribond cycle de Doha. Les deux grands acteurs du commerce cherchent à s’appuyer sur le bilatéralisme pour orienter l’avenir du commerce mondial. Si les deux blocs parviennent à s’entendre, ils seraient en passe de dicter à eux seuls les règles du commerce mondial. Les normes sanitaires et les règles commerciales, sur lesquelles ils s’entendront, s’imposeront à d’autres puissances commerciales émergentes. Renforçant l’axe transatlantique, ce marché « intérieur » aurait pour effet « d’isoler » les économies de la Chine ou de l’Inde.
L’autre incidence du TTIP est que les régions de proximité souffriraient de ce renforcement des échanges transatlantiques, particulièrement les pays du voisinage immédiat, qui seraient de facto marginalisés : Canada, Mexique, la région méditerranéenne… Le TTIP ne concerne pas seulement les Etats-Unis et l’UE. Le Mexique a déjà un ALE avec l’UE et le Canada, de son côté, est en train d’en négocier un. A un certain point, il faudra harmoniser le NAFTA, l’Euromed et le TTIP. Si les États-Unis et l’UE parviennent à un accord, les normes définies en commun dans les domaines allant de l’agriculture aux services financiers, en passant par l’accès aux marchés publics, seront en mesure de s’imposer de facto au reste du monde, dont la région méditerranéenne. La singularité du TTIP réside dans la taille des marchés des États-Unis et de l’UE, qui les place dans une situation de policy maker. Leur importance confère aux négociateurs la faculté de tracer indirectement les contours des grandes évolutions du commerce mondial et régional. L’aboutissement du Partenariat pourrait changer la géographie politique et économique du monde et de notre région pour les années à venir.
