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Idées

Le libre-échange agricole a-t-il vécu ?

Il est urgent de clarifier nos objectifs et d’identifier les instruments
qui permettent de concilier l’ouverture au commerce international de notre
agriculture et la restructuration du tissu rural sur l’ensemble du territoire.

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rub 4436

Le Maroc et la Commission européenne viennent de parapher l’accord sur la libéralisation mutuelle et progressive des échanges agricoles qui entrera en vigueur à  partir du 1er décembre 2003. Le sixième round des négociations de l’accord de libre-échange entre le Maroc et les Etats-Unis est prévu à  la mi-novembre à  Washington. L’agriculture nationale y sera exposée en première ligne. La gestion de ces deux accords est apparemment complexe car la matière est elle-même un lieu de contradictions et de conflits d’intérêt. Comment concilier la compensation qui vient d’être négociée avec l’Europe – quotas de tomates contre contingents de blé tendre – avec la prétention américaine à  libérer l’accès du marché céréalier marocain ? Comment résister à  la pression outre-Atlantique d’une ouverture hard et rapide alors qu’on a renvoyé les nouvelles étapes de libéralisation avec l’Europe à  2008? Comment répondre aux exigences américaines d’étendre le champ des négociations à  d’autres volets (soutien, normes sanitaires…) alors qu’on s’est pratiquement limité à  la dimension commerciale dans les rapports avec l’Union européenne ? En somme, quelle cohérence donner aux positions marocaines sur ces deux fronts qui participent d’une même démarche. Que l’accord avec l’Europe ait abouti à  un «semblant» de libéralisation, que les négociations avec les partenaires américains soient dans l’impasse est particulièrement significatif de l’enjeu économique et social majeur de l’activité agricole. Des enjeux qui ne se limitent pas à  des réductions progressives du soutien et de la protection de l’agriculture. Ni même à  une mise en conformité de la réglementation et des normes. Il s’agit d’un secteur vital, instable et sensible. N’est-il pas à  l’origine d’environ 40% des différends examinés dans le cadre multilatéral. L’agriculture a en outre un rôle fondamental à  jouer dans la cohésion sociale, la préservation et l’équilibre de l’espace naturel et l’aménagement du territoire. Ces domaines qui concrétisent un conflit d’objectifs récurrent entre la libéralisation des échanges et l’exigence accrue des consommateurs vis-à -vis des modes de production agricoles. En réalité, l’idée d’un libre-échangisme agricole est trop simpliste. Les négociations bilatérales et le cycle multilatéral de l’OMC le démontrent amplement. L’ouverture des marchés est à  la carte. Celle des marchés des pays du Nord est trop chiche. En fait, les demandes de protection n’ont pas disparu, mais changé d’objet. L’agriculture conserve un statut spécifique. La perspective d’une convergence de la réduction des soutiens et des barrières tarifaires vers zéro est encore lointaine. Dans les faits, la conversion des quotas a pu servir des intérêts protectionnistes. Les instruments découplés de politique agricole assurent aux agriculteurs un soutien domestique. Ces outils sont qualifiés de découplés car ils ne sont conditionnés (couplés) ni à  un produit, ni aux facteurs de production utilisés. Dans ce contexte, la vision du devenir de notre agriculture est encore floue. Certains poussent vers davantage d’ouverture alors que d’autres réclament des protections sous formes renouvelées. Certes, l’état actuel de nos avantages comparatifs ne garantit pas à  notre agriculture une valorisation immédiate par les échanges. D’autre part, la libéralisation des marchés ne lui assure pas une augmentation mécanique de son efficacité économique. Paradoxalement, ces réserves ne condamnent pas l’ouverture et elles ne constituent pas des prétextes au protectionnisme agricole. Le paradoxe est que le contenu de la nouvelle politique agricole est peu clarifié. En conséquence, le mode d’interventionnisme public est peu pris en compte face aux Etats-Unis et à  l’Union européenne qui se disputent à  grand bruit sur la légitimité de leurs instruments boà®tes «verte» ou «bleue» sans s’étendre sur les justifications économiques de leurs interventions. Il est raisonnable et urgent de clarifier nos objectifs et d’identifier les instruments qui permettent de concilier l’ouverture au commerce international de notre agriculture et la restructuration du tissu rural sur l’ensemble du territoire