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Idées

Le dilemme des voyages de presse

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rub 4432

«Votre rôle est très important. C’est par votre biais, par l’information que vous diffusez, que la connaissance de l’Autre peut s’établir et des liens se tisser». Taïeb El Alj, ambassadeur du Maroc en Corée, nous accueille avec chaleur. D’abord en tant que concitoyens – quand on est aussi loin, c’est toujours avec plaisir que l’on reçoit des visiteurs de chez soi – ensuite en tant que journalistes. Depuis trois ans qu’il est à Séoul, l’ambassadeur bataille pour le développement des relations entre le Maroc et ce petit pays situé à l’autre bout du monde, ce «dragon» dont tout nous sépare jusqu’au jour qui se lève quand la nuit enveloppe nos demeures. De la presse, Taïeb El Alj attend beaucoup. Il croit en ce pouvoir de l’information qui fait se rapprocher les consciences et permet de relier le lointain, même lorsqu’il se situe à l’antipode. Aussi, en nous recevant, insistera-t-il sur ce rôle qui serait le nôtre, à nous, ces artisans des mots par lesquels les nouvelles voyagent. Il nous rappelle ce «pouvoir» placé entre nos mains, ce pouvoir de la plume qui, de tout temps, a fasciné – et fait trembler- jusqu’aux plus puissants.
Lourde tâche et lourde responsabilité que voilà même si, au regard du contexte médiatique marocain, la relativisation s’impose. Responsabilité par rapport à laquelle il n’est pas inopportun de braquer les projecteurs en amont, sur la manière dont, parfois, l’information se recueille et donc se diffuse.
Ces lignes s’écrivent dans le cadre d’un voyage de presse à Séoul, voyage de presse organisé par une multinationale coréenne spécialisée dans l’électronique grand public, les télécommunications et le multimédia. Pour la seconde année consécutive, l’entreprise, classée deuxième de son pays et cinquième à l’échelle internationale sur son créneau, a invité une dizaine de journalistes marocains à venir la découvrir dans son environnement national. Voyage en business class, grands hôtels, restaurants chics et produit dernier cri en prime, le traitement est, de bout en bout, V.I.P. En retour, il est attendu des journalistes invités qu’ils fassent leur travail, à savoir écrire. Sauf que l’on comprendra que plus l’hôte vous aura entouré d’attention, plus il devient difficile au regard de rester pleinement critique. D’où le piège. Un piège qui fait partie de ces données dont la déontologie du métier impose d’avoir une claire conscience, d’autant qu’il relève souvent du passage obligé. Comment en effet, quand on est journaliste et que l’occasion se présente, refuser d’aller découvrir un univers aussi lointain et aussi fascinant que celui de cette petite Corée, hier, pays pauvre et sous domination japonaise, aujourd’hui douzième puissance économique du monde ? Soyons clairs, cela ne se refuse pas ! D’où le dilemme de la presse, tenue de composer avec ceux qui lui donnent les moyens de faire son travail tout en se battant pour préserver son indépendance éditoriale. Installée au Maroc depuis trois ans, la multinationale a besoin de ces journalistes que nous sommes pour se faire connaître de ce nouveau public à la conquête duquel elle va. Le journaliste, de son côté, doit garder présent à l’esprit ce qu’est une multinationale et ce que la politique de celle-ci engendre sur le plan du marché national et global. En acceptant son invitation, il va effectivement contribuer à son implantation et à son essor. Mais, dans le même temps, il se donne les moyens de visualiser et de mieux comprendre son fonctionnement. Dilemme encore et toujours.
De ce type de voyage, l’on revient avant tout avec des flashs. Pour ce qui est de l’entreprise invitante, s’il fallait n’en retenir qu’un, ce serait l’image de ces jeunes gens, jeans et chemise ouverte, carburant devant leurs machines. La réussite d’une multinationale telle que celle que nous avons visitée dépend en grande partie de ce que le cerveau de ses chercheurs met régulièrement à jour. Il en va de même pour un pays. La Corée, c’est un huitième du territoire marocain avec 48 millions d’habitants et un PIB dix fois supérieur. Une population alphabétisée à 100% où le travail représente la valeur première. Le travail et l’amour du pays. Mixez les deux et vous avez le miracle coréen.
Rien que pour voir cela, cela valait la peine d’y aller !