Idées
Le bourbier irakien et le miracle US
Alors que la production pétrolière n’est pas sécurisée et qu’aucun des objectifs américains ne peut être atteint sans déstabiliser l’ensemble, la machine de communication américaine se met en branle, à la veille des élections, pour transformer cette faillite fracassante en «success story».
Pressée par l’approche des élections présidentielles, la machine de communication américaine fait des merveilles. A l’occasion du transfert de souveraineté, la situation en Irak apparaît sous un nouveau jour ; même la situation sécuritaire se serait améliorée. Sur le front diplomatique, Egypte et Jordanie ont annoncé leur soutien actif au processus en cours. Le Maroc, lui, n’arrête pas de démentir l’envoi de troupes, la rumeur revient au galop. Les Américains sont-ils en train de finalement gagner leur guerre ? Rien n’est moins sûr.
La production pétrolière, objectif essentiel, n’est pas sécurisée. Le pays est encore plus ingouvernable qu’avant. Les multiples erreurs du Pentagone font qu’aucun des objectifs américains ne peut être atteint sans déstabiliser l’ensemble et rendre improbables les autres objectifs.
Les Américains ont décrédibilisé leurs interlocuteurs chiites
Ainsi la donne chiite était essentielle dans le jeu américain. Dès le départ, le Pentagone voulait immuniser le grand ayatollah Ali Sistani contre l’influence iranienne. Moktada Sadr a été vaincu militairement et cantonné politiquement. Seulement, l’épisode Moktada Sadr (imam radical chiite) a aussi fragilisé Sistani. Plusieurs tribus chiites lui reprochent d’avoir abandonné les siens. Par le biais de réseaux multiples, la CIA découvre aujourd’hui que le secrétaire général du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah, joue un rôle important. Son relais, le Parti de la Daawa, copie du Hezbollah libanais, affranchi de la “référence”, est probablement le mieux structuré. Auréolé de sa victoire contre Israël et de son contrôle du Sud-Liban, Nasrallah est un héros chiite. Dans l’environnement irakien il attend son heure et laisse la «marjyîa» (haut clergé chiite) épuiser son capital respect, de la même manière qu’il a fini par marginaliser le chef du mouvement chiite modéré Amal, Nabih Berry, au Liban.
Des connexions iraniennes ne sont pas si évidentes, surtout que Mohamed Baker El Hakim (président du Conseil suprême de la Révolution islamique en Irak), le plus proche de Téhéran, a été liquidé physiquement en août dernier.
En maintenant la pression sur leurs interlocuteurs chiites, les Américains ont réussi à les décrédibiliser : une nouvelle direction de combat émergera. En attendant, aujourd’hui, les chiites majoritaires en Irak, sont traversés par plusieurs courants et donc déstabilisés.
Déstabilisées, les monarchies du Golfe le sont aussi. Le Koweit, qui finançait le groupe de l’actuel Premier ministre, a entamé une vraie campagne de presse contre le nouveau pouvoir. L’Arabie Saoudite, dans le collimateur, à la fois du Pentagone et des terroristes, est une monarchie en danger. Les micro-Etats n’arrivent plus à jouer aux équilibristes entre un urbanisme futuriste et un mode de gouvernance féodal. L’Amérique a déstabilisé ses alliés sans avoir de «feuille de route».
La résistance de Saddam réveille ses partisans
Finalement, les deux seuls Etats servis par la crise irakienne sont la Syrie et l’Iran, ceux-là mêmes qui devaient tomber après Saddam. Les mésaventures irakiennes de l’armée américaine affaiblissent les menaces, mais surtout les deux régimes opèrent une reprise en main alors qu’ils avaient été obligés de lâcher du lest. Les deux n’ont aucun intérêt à une Pax americana en Irak, sans qu’une implosion totale de leur voisin serve leurs intérêts non plus.
Tout cela, les communicateurs américains le savent. Ils préfèrent maquiller les réalités et focaliser sur d’autres événements. Ainsi, le procès de Saddam devait donner le ton. Là aussi, c’est plus complexe que prévu. Sa résistance réveille ses partisans. Le peu de cas fait de ses droits et le refus de le laisser choisir ses avocats entachent la «démocratie» offerte par les Américains. Soit son procès se transformera en procès de l’occupation, soit il sera exécuté au terme d’une mascarade. Dans les deux cas, les protégés de Washington en pâtiront.
La nouvelle approche américaine, excessivement optimiste, est à usage interne. Elle tend à conforter le président-candidat Bush. L’état-major sur place ne publie même plus le nombre de ses morts. C’est cette comptabilité macabre qui, un jour ou l’autre, peut induire une inflexion de l’opinion publique américaine. L’Américain moyen aime bien faire la guerre mais sans que les boys ne paient un tribut trop lourd. Ce sont les mères des marines qui, un jour ou l’autre, entameront une croisade contre la guerre.
Pour l’instant, les USA ont dégommé Saddam, mis la main sur le pétrole irakien. Ils n’ont affaibli que leurs alliés, provoqué une instabilité régionale dont on n’a pas évalué toutes les conséquences, renforcé Israël à tel point que toute paix viable devient une illusion et surtout renforcé le terrorisme islamiste en lui procurant une justification a posteriori. On a déjà vu des faillites moins fracassantes. Pourtant cet énorme gâchis est présenté comme une réussite qui a tardé à se dessiner.
C’est le miracle de la communication américaine, pays de la liberté de la presse s’il en fut ! Une presse qui se pâme devant un sondage bidon
Les USA ont dégommé Saddam et mis la main sur le pétrole irakien. Ils n’ont affaibli que leurs alliés, provoqué une instabilité régionale dont on n’a pas évalué toutes les conséquences, renforcé Israël à tel point que toute paix viable devient une illusion et surtout renforcé le terrorisme islamiste en lui procurant une justification a posteriori.