SUIVEZ-NOUS

Idées

L’autre monde ou le Maroc d’en haut

Selon que l’on ait une conception
plus ou moins exigeante de l’égalité des chances, on peut condamner ou simplement déplorer les avantages exorbitants de la spéculation et des privilèges et les enrichissements qu’ils procurent… Mais qu’on se penche d’un peu plus près sur certaines formes d’enrichissement, qu’on prenne
la peine d’en reconnaître
la véritable source, au sein
de la collectivité nationale, et il
n’y a plus lieu de discuter.

Publié le


Mis à jour le

Ilétait temps. Le Haut Commissariat au Plan vient d’achever les cartes désagrégées de la pauvreté. On y apprend – sans grande surprise – qu’au Maroc survit toujours une masse incompressible de pauvres estimée à  4,2 millions de personnes. On y découvre surtout o๠sont domiciliés ces pauvres, à  l’échelle infra-communale, le niveau le plus fin de la distribution spatiale de la population. Vous, vous saviez combien de voisins démunis vivaient dans votre quartier. Vous les côtoyez au quotidien. Mais les pouvoirs publics n’avaient que de grossières lunettes pour les localiser. Désormais, avec ce formidable outil cartographique, l’Etat peut traquer plus efficacement ces «poches» d’exclusion sociale par des programmes ciblés. Mais dans l’autre quartier de la ville, à  l’échelle la plus élevée de la pyramide sociale, que se passe-t-il ? Nous savons à  quelle hauteur de dirhams mensuels par foyer on appartient, au Maroc, aux catégories aisées. On repère à  quel niveau de dépenses on entre dans les 10% les plus riches. On dispose de quelques informations sur la représentation des riches parmi les tranches d’âges, les professions ; sur leurs lieux de résidence, dans les grandes et moyennes villes. Mais, en dehors de ces élémentaires appréciations, bien difficile de dire avec précision quelles sont les catégories aisées dans le Maroc de 2005. On croule sous les études sur la pauvreté, mais très peu d’économistes ou de sociologues s’intéressent aux plus aisés. Pourtant, l’adage «pour vivre heureux, vivons cachés» ne s’applique qu’imparfaitement à  ces nantis. L’ostentation, l’effet de démonstration, la valeur-signe, font partie intégrante du comportement de ces riches. Les nouveaux surtout. Jusqu’à  l’indécence. Il est légitime que la collectivité cherche à  en savoir plus sur la source de leur bien-être. Dans une perspective de cohésion sociale Certes, l’enrichissement est la base et l’objectif de plus d’une aspiration. Sans remonter jusqu’aux analyses de quelques théoriciens de l’économie qui font de la recherche du profit la clé de tout bien-être, on est bien obligé de constater que la poursuite d’un mieux matériel inspire la plupart d’entre nous, et la société elle-même, qui parle de croissance. L’enrichissement est d’ailleurs si intimement tissé dans la structure de nos sociétés qu’il prend lui-même autant de formes que l’activité emprunte de visages. Sous son aspect le plus connu et le plus déclaré, il passe naturellement par le revenu et son augmentation, qu’il s’agisse du salaire ou d’autres types de rémunération de l’activité ou du travail. Ce domaine est relativement battu, par l’information et la fiscalité, du moins en ce qui concerne les salaires. Mais l’expérience montre que ce sont en fait les fortunes qui font les gros revenus et fondent, par là , les inégalités les plus criantes. Car sans même entrer dans la querelle idéologique, il faut que les enrichissements aient des causes. Les disparités de salaires peuvent se justifier par des différences d’effort, de mérite ou de talent qui tiennent à  la personne. Mais la plupart du temps, au Maroc, l’enrichissement a sa cause ailleurs que dans la personne qui le détient. La plupart des enrichissements rapides proviennent, c’est bien connu, d’accélérations de plus-values, d’activités illicites ou de proximité du pouvoir. Ces plus-values, ces recyclages d’argent sale, cette proximité sont d’autant plus importants qu’on est dans une société aux besoins plus nombreux, à  la demande globale plus pressante. L’exemple le plus illustratif est sans doute celui lié au logement, dont la demande accrue provient de l’évolution démographique et de l’urbanisation accélérée. La hausse fabuleuse du prix des terrains dans les villes en est la conséquence directe et fournit à  quelques-uns une richesse née du besoin de tous. Selon que l’on ait une conception plus ou moins exigeante de l’égalité des chances ou de la justice sociale, on peut condamner ou simplement déplorer les avantages exorbitants de la spéculation et des privilèges et les enrichissements qu’ils procurent… On peut même les accepter, au bénéfice de la philosophie qui veut qu’on ne donne qu’aux riches… On peut aussi ne pas chercher à  comprendre. Mais qu’on se penche d’un peu plus près sur certaines formes d’enrichissement, qu’on prenne la peine d’en reconnaà®tre la véritable source, au sein de la collectivité nationale, et il n’y a plus lieu de discuter. Fortunes ou magots, ceux-là  s’échafaudent bien aux frais de la princesse, à  travers des mécaniques vicieuses qu’on n’a pas redressées. Or la «princesse», c’est la collectivité.