Idées
La rage de vaincre
La question qui revient de manière récurrente et qui ne concerne pas les seuls Maghrébins de France mais aussi les Marocains au Maroc est de savoir pourquoi, là où une Rachida Dati s’accroche et va de l’avant, un Jamal ou un Omar (ses frères) abandonne et va à la dérive. xxxxxxxx
Certaines coà¯ncidences laissent rêveur, donnant à croire qu’il existe dans l’univers des génies farceurs qui aiment à se jouer de ces patauds d’humains. Mardi 17 juillet, jour o๠il comparaissait devant le tribunal pour une affaire de stupéfiants, elle livrait à l’examen du Parlement le texte de son projet de loi sur la récidive. Toujours à l’affût de ce qui défraie la chronique, les médias n’ont pas manqué de faire le lien entre les deux événements et de les commenter avec gourmandise. Car lui est le frère d’elle qui n’est autre que madame le ministre français de la Justice. Et si l’on venait à appliquer à la lettre cette loi Sarkozy-Dati – aujourd’hui votée – à Jamal Dati, ce frère se verrait, en tant que multirécidiviste, lourdement condamné. Une garde des Sceaux dont le cadet a des démêlés avec la justice, voilà qui ne manque pas de piquant. Qu’un haut responsable soit éclaboussé par les errements judiciaires de ses proches n’est pas en soi un fait exceptionnel.
Mais en l’occurrence, il ne s’agit pas d’une figure classique du cénacle politique français. Rachida Dati, c’est d’abord un symbole, une icône de l’intégration réussie. Son parcours nous conte l’histoire d’une Cendrillon des banlieues qui, à force de volonté et d’ambition, parvient à se hisser aux plus hauts sommets de l’Etat. Une performance des plus remarquables au regard de sa triple qualité à la fois de femme, de jeune (elle n’a que 41 ans) et surtout de fille d’une analphabète algérienne et d’un ouvrier marocain. On peut ne pas adhérer aux choix politiques de l’intéressée et critiquer vertement sa loi qui instaure des peines plancher pour les récidivistes et traite les mineurs multirécidivistes de plus de 16 ans comme des adultes, il n’en demeure pas moins que la rage de vaincre, qui l’a menée là o๠elle est aujourd’hui, force l’admiration. Pas moins de sept biographies d’elle sont en cours de préparation, ce qui dit bien la fascination suscitée par cet itinéraire peu commun. Sous le feu constant des projecteurs – elle est la seule à rivaliser sur le plan médiatique avec son mentor Nicolas Sarkozy -, on l’attend au tournant à chacun de ses pas et il n’est pas dit qu’elle aura suffisamment de souffle pour aller jusqu’au bout de son aventure. Ceci étant, même si celle-ci devait être de courte durée, elle reste suffisamment formidable pour qu’on l’applaudisse.
Revenons sur cette coà¯ncidence malheureuse dont se sont délectés ceux à qui la présence d’une beurette au 13 Place Vendôme fait grincer des dents. Les frères devant la Justice (ils sont deux à être poursuivis) quand la sÅ“ur a cette Justice placée sous son autorité, l’illustration de ce qu’affirment nombre d’études est si parfaite qu’elle frise la caricature. Dans le contexte de l’immigration, la réussite scolaire des filles par rapport aux garçons est un fait désormais avéré. Alors que la population carcérale française enfle sous le poids des jeunes délinquants d’origine maghrébine, les filles s’accrochent à leurs études, favorisant par ce biais leur intégration à la société d’accueil.
Deuxième d’une fratrie de 12 ans enfants, Rachida cumule les petits boulots dès l’âge de 16 ans pour financer sa scolarité. Quand sa mère décède précocement, il lui revient en sus la charge d’élever ses frères et sÅ“urs. Elle l’assume en parallèle à ses études tout en dévorant le Who’s Who et en se nourrissant des parcours de vie qui y sont décrits. Elle y apprend que le destin, parfois, demande à être forcé. A vingt ans, son premier acte en la matière est de se faire inviter à une réception donnée à Paris par l’ambassade d’Algérie. Elle y rencontre Albin Chalandon, alors garde des Sceaux, auquel elle demande son aide. Séduit par le tempérament entreprenant de la jeune fille, celui-ci la lui accorde. Il est le premier d’une longue liste de personnalités françaises à la prendre sous son aile. En 1999, quand elle termine ses études à l’Ecole nationale de magistrature, on la retrouve à prêter serment dans la robe de magistrat de Simone Veil. Son mentor, cependant, la personnalité dans laquelle elle se reconnaà®t le plus et qu’elle croise dès 1996, est Nicolas Sarkozy. «C’est quelqu’un, dit-elle à son propos, à qui l’on n’a jamais rien donné. Il a tout eu à l’arraché, avec succès. Il y a quelque chose chez lui qui fait écho chez moi : le refus de la fatalité, peut-être». Ce refus de la fatalité, Jamal et Omar Dati, ses jeunes frères, tous deux poursuivis pour trafic de stupéfiants, n’en ont pas hérité. La question qui revient de manière récurrente et qui ne concerne pas les seuls Maghrébins de France mais également les Marocains au Maroc est de savoir pourquoi là o๠une Rachida s’accroche et va de l’avant, un Jamal ou un Omar abandonne et va à la dérive. Qu’est-ce qui, dans l’éducation donnée aux garçons, tant au Maroc qu’en France, conduit un certain nombre d’entre eux à lâcher prise sitôt confrontés à la difficulté ? Pourquoi les filles, dont pourtant on se plaà®t à mettre en avant la fragilité, font-elles preuve, dans l’effort, d’une plus grande pugnacité ? Certes, une plus grande exposition masculine à la rue et à ses influences peut être un facteur explicatif mais il n’est pas suffisant. Le statut du garçon dans nos familles, les attentes placées en lui, l’image qu’on le fait se construire de lui-même, tout ceci participe à cet état de fait. Sorti du cocon familial, le petit prince est désarçonné face à la résistance du réel. Il n’a pas appris les vertus de la patience, de l’endurance, de la ténacité et de l’effort. Il croit qu’il peut tout avoir tout de suite. N’est-il pas un mâle, la gloire de sa mère et la fierté de son père ? Quand à cela s’ajoute un effritement de l’autorité paternelle et de la figure du père, comment s’étonner de voir des Jamal et des Omar atterrir devant les juges ? Avec Rachida Dati à la place Vendôme, les Maghrébines de France disposent désormais d’un modèle d’identification sacrément dopant. Pour assurer, les frérots – c’est clair – ne peuvent plus se suffire d’un seul Zidane.