Idées
La prévisibilité budgétaire de la direction juridique
La prévisibilité budgétaire de la fonction juridique nécessite d’évaluer de manière pertinente les coûts externes et les coûts internes, puis de définir le processus de suivi. Ceci requiert non seulement de s’inscrire dans le processus budgétaire de l’entreprise mais aussi et surtout de définir les flux au sein de l’organisation juridique,
Comme toute fonction de l’entreprise, la direction juridique doit aujourd’hui répondre aux exigences d’une plus grande prévisibilité budgétaire émanant du management. En effet, si parmi l’ensemble des directions internes de l’entreprise, la direction juridique est la seule qui a vu son budget croître année après année durant ces quinze dernières années, il n’en reste pas moins qu’elle est soumise à une pression budgétaire de plus en plus forte, et sommée –à l’instar des autres directions internes– de démontrer sa capacité à : anticiper les dépenses, maîtriser son budget, et à le rationnaliser de manière à optimiser la plus-value apportée à l’entreprise.
Longtemps considérée par les directeurs juridiques comme complexe, voire impossible à réaliser de manière fiable du fait de la «spécificité de la matière» et du degré d’urgence et d’imprévu des dossiers, cette planification doit aujourd’hui, selon nous, pour être menée à bien, s’articuler autour de trois grands axes d’optimisation : les dépenses internes, les dépenses externes et le processus budgétaire en lui-même.
1) Planifier et organiser les dépenses internes
• Pour disposer d’une meilleure visibilité sur les dépenses à venir, le directeur juridique doit d’abord planifier les ressources à mettre en place au sein du département pour l’accomplissement des principaux objectifs business de l’entreprise. Pour ce faire, le recours au «business & legal planning», qui consiste à aller voir chaque client interne pour identifier les principales actions juridiques à mettre en œuvre dans l’année à venir pour répondre aux objectifs business du client, peut s’avérer un exercice fort utile.
• La maîtrise des salaires peut ensuite également être un angle clé pour accroître la prévisibilité budgétaire en matière de dépenses internes. A cet égard, proposer une grille d’évolution salariale lisible aux membres de son équipe, indexée à des indicateurs de performance individuels précis et mesurables, permettra à la fois d’assurer une meilleure anticipation, et de mieux fidéliser l’équipe à travers la clarification du chemin de carrière.
• La rationalisation des frais de fonctionnements internes, enfin, qu’il s’agisse de déplacements, de voyages à l’étranger, de formations, ou d’autres débours, via la mise en place d’un guide de prise en compte et de gestion des frais de fonctionnement, est également un aspect sur lequel le directeur juridique peut aisément agir, et qui contribuera à renforcer tant la prévisibilité budgétaire que le contrôle des dépenses.
2) Planifier et organiser les dépenses externes
• Une bonne anticipation des dépenses externes passe d’abord par une optimisation des modes d’externalisation et de recours aux cabinets d’avocats. Il s’agit ici notamment de bien segmenter les cabinets d’avocats par valeur ajoutée recherchée sur une prestation donnée, afin de garantir à l’entreprise le meilleur rapport qualité/coût dans l’utilisation des conseils externes. Il convient pour ce faire d’identifier l’ensemble des problématiques ne pouvant être traitées en interne, de catégoriser ces problématiques en fonction du niveau de risque juridique encouru, de la complexité du dossier ou encore de l’impact business pour l’entreprise, puis de confier la gestion de cette problématique au cabinet le plus adapté. Rationaliser les dépenses liées aux conseils externes en segmentant les cabinets d’avocats par la valeur ajoutée, tout en conservant une marge budgétaire pour les opérations par essence exceptionnelles et imprévisibles, peut ainsi considérablement accroître la prévisibilité et la maîtrise des coûts.
• Construire une relation plus durable et privilégiée avec certains cabinets d’avocats, pourra ensuite également permettre de mieux anticiper et réduire les coûts externes. On pense ici notamment à la «panélisation», à laquelle de plus en plus d’entreprises ont aujourd’hui recours, aux «deal packages», qui permettent de négocier un prix global pour l’octroi de plusieurs prestations de conseils, ou encore à la mensualisation des relations financières, sous forme d’abonnements, pour certaines prestations récurrentes. La construction de ces relations financières privilégiées et durables est à la fois bénéfique pour le cabinet, qui fidélise son client et s’assure un «pipeline» de prestations avec celui-ci, et pour la direction juridique, qui peut ainsi bénéficier de meilleurs tarifs, voire de certains services annexes gratuits (veille, formation), tout en s’assurant une meilleure prévisibilité budgétaire.
• Enfin, la définition d’une politique de facturation et de prise en charge des «expenses» des cabinets d’avocats pourra contribuer à une maîtrise sensiblement accrue des coûts, en identifiant notamment les prestations pouvant être forfaitisées, plutôt que facturées aux taux horaires, et en édictant les règles de prises en charge des frais et débours (à partir de combien de minutes un appel téléphonique à son avocat peut-il être facturé ? Le temps de voyage est-il intégralement facturable ? etc.)
3) Optimiser le processus budgétaire
Au-delà d’une nécessaire optimisation du contrôle des dépenses juridiques internes et externes, une planification budgétaire efficiente s’appuie également sur la mise en place d’un processus budgétaire formalisé. Cela implique notamment de :
• Définir le bon niveau de suivi de la facturation et du budget : suivre les coûts par spécialité, par business unit, par région ou pays, etc., tout en s’inscrivant bien dans le processus budgétaire groupe, en établissant des projections trimestrielles ou semestrielles sur le budget annuel.
• Mettre en place les outils informatiques adaptés pour suivre l’ensemble de la facturation juridique et de traquer ainsi 100% de l’activité et des dépenses juridiques, en lien avec ses cabinets de conseils.
• Instaurer des incentives pour l’équipe liés au respect et suivi du budget : indexation/intéressement des managers ou/et des juristes sur la tenue du budget
• En complément, certaines directions juridiques ont aujourd’hui mis en place une facturation de leurs coûts juridiques auprès de chacune des entités internes concernées, ce qui peut contribuer, tant à responsabiliser les opérationnels sur le recours au Juridique, qu’à valoriser la performance de la direction juridique en la plaçant en position de véritable business partner ou cabinet d’avocats en interne.
La prévisibilité budgétaire de la fonction juridique nécessite d’évaluer de manière pertinente les coûts externes et les coûts internes, puis de définir le processus de suivi. Ceci requiert non seulement de s’inscrire dans le processus budgétaire de l’entreprise mais aussi et surtout de définir les flux au sein de l’organisation juridique.