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Idées

La petite pierre de chacun

En rajoutant sa part d’irrationnel et en ravivant des haines anciennes, la religion transforme les protagonistes du drame palestino/israélien en autistes incapables d’imaginer que l’autre puisse aussi avoir sa vérité. D’où l’impasse majeure qui prévaut aujourd’hui.

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Cette année, Aïd el Fitr et Rosh Hashana sont tombés à un ou deux jours d’intervalle. Le 30 septembre, c’était le Nouvel an juif et, peu après, les musulmans ont célébré la fin du Ramadan. La concomitance de ces deux fêtes religieuses est une occasion de se rappeler que si les messagers diffèrent, le Dieu vénéré est le même. Et que ce Dieu ne peut avoir voulu que ses créatures passent leur vie à s’entredéchirer sous prétexte que les uns le nomment Allah et les autres Yahvé.

Lui, le Miséricordieux, a mis le pardon et l’oubli à la disposition des hommes pour se délester des boulets de la rancœur et de la haine qui tuent l’âme à petit feu. Tout être habité par la foi devrait s’en souvenir.

Voilà maintenant plus de soixante ans que le conflit israélo-palestinien mine les relations entre juifs et musulmans. Par diffusion d’onde, c’est le rapport Occident/monde musulman dans son ensemble qui en pâtit. Deux peuples luttent pour une même terre, considérée par chacun comme la sienne. Au nom de ce qu’il estime être ses droits éternels, l’un a chassé l’autre de sa maison et de son village. Il l’a dépossédé et colonisé. Le conflit a donc une dimension politique évidente.

Mais ce politique s’habille de religieux, ce qui élargit de manière inconsidérée la sphère du conflit. Ce ne sont pas simplement les deux peuples concernés qui s’affrontent mais les deux communautés de souche qui se dressent l’une contre l’autre, rendant le problème plus insoluble encore.

En rajoutant sa part d’irrationnel et en ravivant des haines ancestrales, la religion transforme les protagonistes en autistes incapables d’imaginer que l’autre puisse aussi avoir sa vérité. D’où l’impasse majeure qui prévaut aujourd’hui.

Pourtant, l’histoire nous apprend que les haches de guerre finissent toujours par être enterrées. Dès lors que d’autres logiques se mettent en branle et que des intérêts nouveaux se dessinent, le dialogue, comme par enchantement, redevient possible. L’actualité internationale du mois passé offre un exemple à méditer.

Le 6 septembre dernier, il s’est produit un rapprochement spectaculaire entre deux ennemis pourtant jugés irréductibles : la Turquie et l’Arménie. Ce rapprochement s’est traduit par une coopération accrue, notamment dans le domaine énergétique. Une telle chose était encore, il y a peu, de l’ordre de l’impensable. Par la faute des responsables politiques de l’un, l’autre n’a pas seulement été dépossédé et déporté mais il a été victime d’un terrible génocide.

Entre avril 1915 et juillet 1916, près d’un million et demi (les estimations varient d’une source à l’autre) d’Arméniens, soit les deux tiers de la population arménienne vivant sur le territoire actuel de la Turquie, ont péri aux cours de déportations et de massacres de grande ampleur. Les Turcs ont toujours nié ce génocide, réprimant lourdement ceux des leurs qui osaient le reconnaître.

Alors, quand Volkan Vural, ancien ambassadeur de la Turquie en Russie, déclare à des journalistes turcs que son pays devait demander pardon au peuple arménien pour ce qui s’est passé au début du XXe siècle, la portée symbolique d’un tel propos ne passe pas inaperçue.

Pas plus tard qu’en janvier 2007, Hrant Dink, un infatigable militant du rapprochement turco-arménien, se faisait assassiner à Istanbul pour les idées de réconciliation qu’il défendait. «Avant toute chose, disait-il, faisons preuve de respect pour les souffrances que chacun de nous a endurées».

Ce propos peut être repris à l’attention des Israéliens et des Palestiniens. Tant que les Israéliens ne reconnaîtront pas leur responsabilité majeure dans la Nakba subie par les Palestiniens, aucune réconciliation véritable ne pourra jamais se faire entre ces deux peuples.

Mais, et cela cette fois-ci concerne les musulmans dans leur ensemble, tant que le monde de la Oumma n’aura pas admis que les humiliations subies par les juifs en tant que dhimmis ont marqué au fer blanc la mémoire collective de ces derniers, tant qu’il continuera à minorer, sinon à occulter, le poids de l’holocauste sur la psyché juive, alors les incompréhensions réciproques ne pourront que perdurer.

On ne peut attendre raisonnablement de ceux qui vivent un quotidien de larmes et de sang de faire preuve d’ouverture vers l’autre. Par contre, il revient aux musulmans et aux juifs évoluant hors de la sphère du conflit d’agir dans ce sens chaque fois que cela est en leur pouvoir.

Ce n’est qu’ainsi qu’ils pourront apporter leur petite pierre à la construction de cette paix rêvée par tous.
Aïd et Rosh Hashana moubarak.