Idées
La pauvreté sous le scan de l’Observatoire
Les contributions de l’ONDH et du HCP ont ouvert de nouvelles perspectives pour mesurer la pauvreté à l’échelle nationale et locale. Par ailleurs, nous savons que dans les approches traditionnelles de la pauvreté, l’identification des pauvres est rendue possible par le choix d’un seuil de pauvreté. Or ce choix est discutable parce qu’il est plus ou moins subjectif et dépend d’hypothèses de type normatif

Les questions relatives à la mesure de la pauvreté ont été au cœur des débats scientifiques lors du colloque international organisé par l’Observatoire national du développement humain (ONDH). Des débats qui ne finissent pas de s’imposer non seulement en raison de leur pertinence dans le ciblage des populations pauvres ou vulnérables mais également dans une perspective plus large de l’institutionnalisation des politiques publiques de lutte contre la pauvreté. L’identification des individus et des ménages pauvres nécessite de s’accorder sur une base informationnelle capable de révéler le plus fidèlement possible l’information concernant le niveau de bien-être des ménages enquêtés. Il est aussi nécessaire, avant de mener toute politique de réduction de la pauvreté, de retenir une méthode de mesure pertinente du phénomène et de définir un mécanisme transparent et efficace de ciblage des bénéficiaires des programmes d’aide.
Nul ne conteste la multidimensionnalité de la pauvreté. Ce qui fait débat c’est la manière de refléter cette multidimensionnalité dans les mesures de la pauvreté. Les débats du colloque ont permis de pointer les nombreux problèmes méthodologiques que pose la construction d’indicateurs de la pauvreté multidimensionnelle et du bien-être: biais déclaratif, comparaison dans le temps, pondération des variables, choix des dimensions, etc. Les débats autour des diverses contributions phare en matière de construction d’indicateurs dans divers pays (Maroc, Tunisie, Pakistan, Mexique, Colombie…) ont montré que les méthodes de mesure de la pauvreté multidimensionnelle ont fait d’immenses progrès. Les contributions de l’ONDH et du HCP ont ouvert de nouvelles perspectives pour mesurer la pauvreté à l’échelle nationale et locale. L’ONDH a mis en place un panel de ménages consistant en un échantillon représentatif de ménages qui seront suivis dans le temps par des enquêtes portant sur les différentes dimensions du développement humain. Les résultats sont remarquables. Par ailleurs, nous savons que dans les approches traditionnelles de la pauvreté, l’identification des pauvres est rendue possible par le choix d’un seuil de pauvreté. Or ce choix est discutable parce qu’il est plus ou moins subjectif et dépend d’hypothèses de type normatif. De plus, une restitution dichotomique de la population entre pauvres et non pauvres simplifie par trop la réalité. Pour s’affranchir de l’établissement d’un seuil, certaines approches ont proposé d’étudier la pauvreté et le bien-être en utilisant la théorie des ensembles flous. Le HCP a enfourché cette nouvelle piste très adaptée à l’étude des situations dont les connaissances sont imparfaites et incertaines. Le continuum entre ces méthodes apparaît dans la certitude que l’articulation des savoirs «experts» participe de la production d’une connaissance fiable des privations et de carences sociales. Car il s’agit bien de la production d’un ensemble de connaissances construit sur des critères de validité scientifique susceptibles d’entrer dans le débat public pour le transformer en mettant l’accent sur l’efficacité du mode d’organisation institutionnel des initiatives de lutte contre la pauvreté.
Si le colloque a révélé qu’il existe un foisonnement d’expériences de construction d’indicateurs, il a surtout démontré que la réussite de la lutte contre la pauvreté est conditionnée par la mise en place de mécanismes efficaces et transparents de ciblage des bénéficiaires des programmes sociaux. Le Mexique, la Colombie sont deux pays aux contrastes sociaux aussi marqués que le Maroc. Ces pays se sont dotés d’outils pertinents de mesure de la pauvreté multidimensionnelle. Ils ont surtout rendu plus crédible la lutte contre la pauvreté par des programmes ciblés et différenciés et des transferts de revenus. Ce succès est le résultat de l’institutionnalisation de la politique de lutte contre la pauvreté par divers dispositifs. Primo, une coordination interinstitutionnelle efficace par l’instauration de mécanismes de participation et de concertation entre le gouvernement, le parlement, la société civile et les initiatives privées afin d’atteindre les objectifs du développement social. Secundo, une évaluation externe des programmes dont les résultats sont remis à l’Assemblée nationale et publiés. Tertio, la création d’un registre public des bénéficiaires qui permet d’améliorer le ciblage des programmes sociaux et de faciliter la coordination interministérielle. Quarto, l’instauration de règles de fonctionnement transparents des programmes afin d’éviter que la conception et la mise en œuvre de ces programmes ne se fassent à la seule discrétion des fonctionnaires responsables des programmes et empêcher de possibles manipulations politiques notamment lors des campagnes électorales. Enfin, la responsabilité, pour éviter l’arbitraire au travers de divers mécanismes comme la vérification des comptes et des dépenses réalisées dans le cadre des programmes par des organes de contrôle au niveau législatif. La rencontre de l’ONDH a été un moment fort pour confronter l’apport de l’Observatoire aux avancées méthodologiques des mesures de la pauvreté réalisées dans d’autres pays. Elle a surtout montré que le Maroc a tout à gagner de ces débats en s’inspirant des expériences internationales d’institutionnalisation des politiques de lutte contre la pauvreté.
